Les brouillards de Londres – e05

Très chère Miss May

En bon gentleman, permettez-moi avant tout de vous présenter mes excuses les plus sincères. Car la lettre que vous tenez dans vos douces mains ne fut pas écrite pas votre ami Gordon. Mais bien par ma plume. Je sais que le désarroi doit être grand et l’inquiétude encore plus. Mais sachez que l’inspecteur Gordon Smith se porte comme un charme malgré les coups qu’il a reçus lors de son enlèvement.

Sachez avant tout que je déplore au plus haut point d’avoir été contraint d’agir de la sorte. Puissiez-vous me pardonner pour le désagrément que cela pourrait vous occasionner.

Il se trouve que depuis l’enfance j’ai développé un sens du danger et une capacité d’anticipation hors du commun. Bon nombre de mes pairs dans le domaine de la pègre en ont mainte fois fait les frais. C’est donc en m’intéressant à la personne qui enquêtait sur le meurtre de ce pauvre Mortimer que mon intuition s’est présentée à mon esprit comme une alerte au feu dans un quartier insalubre. J’ai consulté les états de services de l’inspecteur Gordon. Je fus fortement impressionné. Sa réputation n’est plus à faire. J’ai donc décidé de faire intercepter son courrier.

En lisant vos correspondances, j’ai constaté que votre partenariat est tout aussi original que dangereux. L’enquête avance plus vitre que prévu, car votre concours était imprévu et a permis à l’inspecteur Smith de comprendre bien trop vite certains évènements. Ceci reste pour moi, inacceptable. J’ai investi beaucoup de temps et d’argent pour parfaire ce projet qui me tient tant à coeur. Après la trahison de Mortimer et l’erreur commise en recrutant Mr Brown, je ne peux plus me permettre de prendre du retard.

Je me dois donc, Miss May, d’abandonner mes principes de gentleman en vous sommant de me remettre le collier de Lord Hutington détenu, comme vous l’avez si bien deviné, par Lady Mortimer. Je pense qu’une personne aussi intelligente et subtile que vous n’aura aucun souci à subtiliser ce chef-d’œuvre de joaillerie au nez et à la barde d’une veuve éplorée. Dans le cas où vous tarderiez à vous exécuter, ou même pire, dans le cas où vous refuseriez tout simplement. Je me permettrais de vous envoyer votre ami Gordon Smith par petit morceau dans divers courriers successifs.

Mais n’étant pas adepte des actes de barbarie je préfère vous laisser une chance de sauver votre ami sans que le sang ne coule de nouveau. Sachez toutefois que j’ai dans mes relations des personnes capables du pire. Je ne vous en décrirais pas plus, car je sais que l’imagination des femmes de bonne famille est des plus puissantes, je ne voudrais pas perturber vos sens avec de mauvaises images.

Une fois que vous aurez le collier déposez-le dans la poubelle jouxtant le banc sur lequel ce gros lourdaud de Brown a fait sa sieste au lieu d’accomplir la tâche qu’il lui a été demandé. Ceci sera au final une manière de conjurer ce mauvais sort qui semble s’acharner sur moi depuis quelques jours. N’en déplaise à vous et à votre ami, j’ai pris parti de reporter cette malchance sur vous. Mais sachez qu’une fois le collier en ma possession l’inspecteur Gordon sera libéré en bonne santé. Je vous en fais le serment sur le peu d’honneur qu’il me reste.

Cependant je ne pourrais pas en dire autant pour votre frère. Celui-ci reste introuvable et la lettre que vous avez fait parvenir à Gordon indique bien un lieu qui m’est inconnu, mais que je ne tarderais pas à découvrir. Afin de vous montrer ma bonne fois et pour vous prouver que je ne suis pas l’être barbare et sans morale que vous imaginez. Je tiens à vous faire quelques révélations sur votre très cher Robin.

Nous nous sommes rencontrés lors de son voyage en Andalousie il y a 5 ans environ. C’était un jeune aristocrate Britannique en mal d’aventure et j’étais un jeune malfrat en mal de reconnaissance. Nos routes se sont croisées dans un casino. Sans vous en communiquer les détails, je dirais que nous nous sommes associés. Lui m’enseigna l’anglais et les bonnes manières et de mon côté je lui donnais des cours de truande. Je fis fortune et lui se fit un nom. Et puis un jour sans prévenir, il quitta le pays. Et nos chemins se sont séparés. Ma colère laissa rapidement la place à l’indifférence et j’ai donc poursuivi ma carrière solo. Et au fil des aventures je me suis retrouvé à Londres. Et devinez qui j’ai contacté en arrivant dans votre belle Angleterre ?

Il m’a dit qu’il s’était rangé, mais il m’a indiqué Henry les gros Bras comme bouc émissaire potentiel. L’agresseur parfait pour un meurtre que l’on souhaite déguiser en agression.

Après enquête de ma part, j’en ai conclu que votre frère savait que cet Henry ne ferait pas son travail. Il savait qu’il ferait échouer mon plan. Il m’a sciemment trompé et pour cela, je dois me venger.

Mais en Malfaiteur honorable je me dois d’en informer la sœur de ma prochaine victime de sa mort prochaine.

Sachez que votre frère m’a mainte fois parlé de vous. Et en d’autres circonstances c’est durant un bal que nous nous serions rencontrés et nous aurions pu nous connaître et discuter lors d’une valse dans un salon mondain. Mais la vie étant parfois une piètre blagueuse nous nous retrouvons dans cette situation déplorable.

Quoi qu’il en soit, j’espère ardemment que cette lettre sera la seule et la dernière que je vous écrirais. Car bien que nous soyons ouvertement conflit sur des intérêts divergents, je dois avouer que je porte une grande admiration à votre intelligence. Et sachez que c’est une qualité pour laquelle j’ai beaucoup d’estime. C’est pour cela que je offre une solution pacifique pour votre ami l’inspecteur Smith. Son avenir est entre vos mains.

Mais si d’aventure vous souhaitiez contacter ma modeste personne. Je vous laisse porter votre lettre au tenancier d’un certain tripot que vous connaissez bien maintenant. Dites simplement au tenancier que cette lettre est destinée à S. Il saura quoi faire. Mais, un conseil, ne vous mettez pas en tête de le suivre pour tenter de me retrouver. Vous imaginez bien que je prends quelques précautions et que toute tentative de votre part de me nuire ou de me retrouver serait fatale pour ce pauvre Gordon. Mais je sais qu’une femme aussi délicieuse que vous ne saurait faire courir un danger aussi périlleux à l’un des inspecteurs les plus respectables de Scotland Yard.

Respectueusement,

S.

Les brouillards de Londres – e04

Londres, Angleterre, 7 décembre 1877 

Gordon, 

Il me faut encore du t_mps pour investiguer les pistes qui se sont révélées à nous jusqu’à ce jour. Mais si je vous écris déjà, c’est parce que j’ai reçu une lettre de mon frèr_, que je tenais absolument à vous remettre. Dieu soit loué, Robin est vivant. Il a rejoint une vieille bâtisse dans laquelle nous avons passé de nombreux étés étant jeunes, en compagnie de notre dame de maison. La bâtisse se situe à l’entrée d’une clairière où coulait un petit ruisseau dans lequel nous nous plaisions à jouer. Il y fait allusion à la fin de son courrier : un jour, un long reptile a remonté le mur de la maison jusqu’au perron où j’étais assise avec un livr_. De peur, j’ai envoyé voler l’ouvrage si haut qu’il en est passé par la fenêtre de la cuisine et a directement atterri dans la marmite où Dame Suzie préparait notre soupe. Nous en avons beaucoup ri, elle moins.  

Ainsi, dans son derni_r paragraphe, Robin me donne en fait un indice sur sa cachette.   

J’espère que cette lettre comporte quelques clés qui m’auraient échappé et qui vous aideront à avancer dans votr_ réflexion. La voici : 

Ma douce Elena, ma petite sœur, 

Je ne sais si tu sauras pardonner ma disparition et mon silence, mais je rédige cette lettre dans l’espoir que tu le puisses un jour, au nom de l’affection que tu me portes. 

Je n’ai pas cherché à m’éloigner de toi ni ai été la victime d’une agression ou d’un enlèvement. J’ai fui, Elena. 

J’ai fui devant mes incapacités à construire une société à la hauteur de ce que j’avais imaginé. 

J’ai fui les liaisons dangereuses que j’ai trop longtemps entretenues avec des malfrats en tous genres, bien que, comme tu le sais, je ne me sois jamais vraiment compromis. Je crois tout simplement que je n’ai jamais considéré avec sérieux que le risque de se brûler est grand lorsque l’on joue avec le feu. 

Jusqu’à récemment. 

J’ai fui, Elena, à l’apparition d’une main noire sur la table d’un jeu dont j’ai compris que je ne maîtrisais plus les règles.  

Au 6 septembre, j’ai reçu la visite d’un homme qui avait manifestement eu vent de mon passé de jeune délinquant. Cet homme s’est intéressé à la position toute ambivalente qui a toujours été la mienne : bien trop peu délinquant pour avoir trempé dans les affaires sordides de notre temps, mais suffisamment quand même pour avoir peut-être rencontré ceux qui en possèdent l’art. Ou, au moins, avoir des noms. 

Les images qui me restent de lui sont floues comme des silhouettes drapées par la brume des matins humides. Je me souviens seulement qu’une large cicatrice fendait une partie de son front, et elle devait remonter jusque sur son crâne dissimulé sous la capuche. Ses yeux sombres surmontaient un nez court et pointu, qui renforçait l’air sévère de ses fines lèvres pincées. Ses traits semblaient porter avec peine le poids des âges alors que sa voix était celle d’un homme tout juste âgé d’une quarantaine d’années. Il était assez grand et me semblait de constitution solide, mais la large cape sous laquelle il se cachait ne me permettait pas de l’évaluer précisément. Il s’exprimait calmement mais de façon extrêmement concise et directe. J’ai d’abord pensé que cette économie de mots visait à ce que mon attention ne soit pas retenue par son léger accent étranger, aux tonalités latines. Mais je crois plutôt que cela laissait apparaître un homme méthodique et froid au fonctionnement opératoire et complètement dénué de toute forme de compassion.  

Cet homme savait que je cherche à monter une société et m’a proposé un soutien financier en échange d’un contact. Mais pas n’importe lequel, et c’est bien pour cette raison que c’est à moi qu’il s’est adressé. Mon habile maîtrise des petites affaires souterraines l’ont conduit à penser que je pouvais lui recommander un homme d’un profil bien défini : un homme qui porte en lui la force et la bêtise comme les deux bras d’un même corps. Un homme qui ait si peu d’amis et guère plus de famille pour que quiconque s’intéresse à lui… 

Je lui ai parlé d’un pauvre bougre du nom d’Henry les Gros Bras, un imbécile que j’ai souvent vu utilisé dans des affaires lugubres où il se jetait à corps perdu sans ne jamais poser une seule question ni même songer à le faire, pour peu qu’on lui promette de cuver son forfait dans un grand verre de whisky. Analphabète de métier, notoirement inculte, marié à la dépravation des mœurs, sa venue au monde en aura exclu la seule personne qui lui ait un jour porté un peu d’intérêt : sa mère, morte à l’accouchement. Il n’a jamais connu son père, dont il a même oublié s’il avait un nom. 

Dans un premier temps, j’ai pensé que ce pauvre bougre serait encore appelé à intégrer un projet de larcin crapuleux. Mais l’impression que m’avait laissée cet homme ne me quittait pas… J’ai rapidement compris que l’affaire serait plus grave, et que j’en savais déjà trop. Il m’est soudain apparu que je devenais sans doute un témoin pouvant s’avérer gênant suivant le dessein que connaîtrait Henry ou ce à quoi il serait mêlé. Il me fallait me mettre à l’abri.  

J’ai donc fui pour me protéger et laisser derrière moi les troubles de ma vie que je désire désormais abandonner au passé, afin que l’étendard de ma chère liberté morale ne devienne pas mon linceul. 

Tu comprendras que, pour ces raisons, je ne puis te dire où je me trouve. Et pour ta sécurité, Elena, je te prie de te débarrasser de cette lettre aussitôt que l’auras parcourue. Offre-là aux vents qui soufflent sur les plaines ensoleillées, confie-là aux eaux paisibles de l’oubli, là où aucun serpent ne pourra s’en emparer ni injecter dans nos vies son venin.      

Je prie le ciel que ces mots trouvent la voie pour apaiser ton courroux, et rêve à présent de jours plus lumineux où nous pourrons nous retrouver… 

Tendrement, Robin. 

De mon côté, cette affair_ de casquette me laisse un goût étrange de mystère non résolu. Sur vos directives, j’ai envoyé l’un de mes domestiques au bureau des objets trouvés de Hyde Park. En effet, une casquette brodée y a bien été récupérée le 18 novembre dernier. 

Mais alors, à qui donc appartient cet autre acc_ssoire retrouvé dans la main de la victime ? Pensez-vous pouvoir obtenir des analyses de vos bureaux d’investigation ? 

Pendant que mon domestique se rendait à Hyde Park, je me suis quant à moi approchée de Betty Findray, que j’ai feint de croiser par hasard sur le marché, hi_r après-midi. Avec une naïveté sincère, Miss Findray m’a révélé que Lord Huntington avait invité notre victime à déjeuner le 11 novembre.  

Mais tout cela, vous le savez déjà. Ce qui est nouveau en revanche, c’est que Miss Findray se rapp_lle l’insistance avec laquelle Mortimer s’interrogeait sur l’intention de Lord Huntington de se rendre au Grand Buffet trimestriel de Lady Fitzgerald qui devait avoir lieu… le soir du 13 novembre. Oui, vous avez bien lu…  

Betty Findray se souvient que Lord Huntington se souciait moins de la nature des convives que de ce qui serait proposé au buffet. Pour votre information, cet événem_nt est organisé tous les trois mois par Lady Fitzgerald depuis le décès de son mari. Il rassemble des citoyens anglais et des convives d’autres contrées du monde entier dans une orgie alimentaire où Huntington, archétype même de la gloutonnerie, avale une quantité de nourritur_ approximativement équivalente à son poids. Heureusement qu’il n’est pas de grande taille ni de corpulence débordante, contrairement à ce que l’on pourrait légitimement imaginer.  

En tout cas, il semblerait que Lord Mortimer, fidèle amateur de cet évén_ment, ait été particulièrement désireux que son ami s’y rende, et qu’il soit ainsi absent de son domicile dans la nuit du 13 au 14 novembre… 

C’est évident. Lord Mortimer est impliqué dans le cambriolage, et lui seul, de par la nature de sa relation à Huntington, pouvait accéder au domicile et au coffre.  

Mais comment quelqu’un comme Mortimer, un homme de si haut rang, dont l’éducation et les manières semblent si éloignées de c_ genre de méfait, pourrait-il s’y abaisser ? Bien que j’attende encore de vérifier le collier auprès de sa veuve, qui m’a promis que nous déjeunerions ensemble cette semaine, je n’ai que peu de doutes quant à la correspondance…   

Je tâcherai également de creuser la question d’éventuelles difficultés financières de notre victime.  

Et puis, je vais proposer une promenade à Lady Victoria Lamb qui, en dépit du nom qu’elle porte, est une véritable harpie qui consacre l’essentiel de son temps à épier, commenter et juger les moindres faits et gest_s de la société. Son terrain de jeu favori : le Grand Buffet. Elle y aura sûrement été le 13 novembre et pourrait nous apporter des informations complémentaires. J’_nvisage notamment de lui demander si elle a vu Lord Mortimer, ce soir-là, parmi les invités.   

Quant à vous, Gordon, peut-être pourriez-vous offrir un autre verre de whisky à notre Henry Brown, afin qu’il vous conte les souvenirs qui lui restent de l’homm_ encapuchonné ? Se souvient-il lui aussi d’un accent latin ? A-t-il remarqué autre chose ? Que sait-il sur l’objet de cette mystérieuse rencontre du 18 novembre ? 

Car, si vous voulez mon avis, il y a quelque chose qui cloche : Pourquoi un homme inquiet de la sécurité d’une personnalité comm_ Mortimer solliciterait un idiot comme Brown pour s’en assurer ? Et pourquoi chercherait-il à cacher son identité, alors que son intention est honorable ? Brown n’aurait-il pas été l’objet d’une manipulation ?

J’espère que le caractère prolifique de ce courrier ne vous effraiera pas.  

A bientôt, et soyez prudent… 

Amical_ment, 

Elena May

Les brouillards de Londres – e03

Dunstable 1 décembre 1877

Elena,

Je vous écris depuis le bureau du sergent Roterfield du poste de Police de Dunstable.

J’ai la confirmation que cette affaire va bien plus loin qu’une simple agression

Ce que vous évoquez concernant votre  me laisse sans voix. C’est une coïncidence des plus troublante. Mais J’ai bien peur que votre frère ait fait preuve de bien trop d’audace en s’intéressant aux affaires de Lord Mortimer.

Vous connaissez mon tempérament direct et parfois brutal dans mes propos. C’est un trait de caractère que j’ai gardé de mon service dans l’armée durant la guerre de Crimée. Sachez que je ne dérogerais pas à cet aspect de ma personnalité durant notre correspondance. Alors je vais être franc, j’ai bien peur que votre frère ne soit en grand danger.

Il se trouve que peu de temps après mon arrivée à Luton j’ai retrouvé Monsieur Henry Brown. Celui-ci fut facile à dénicher tant son retour fit grand bruit dans cette petite bourgade. Il me suffit d’attendre dans le pub local que notre suspect vienne dépenser sa nouvelle fortune en boisson et en activités dont la morale m’interdit d’évoquer dans une lettre adressée à femme respectable telle que vous.

L’homme a un visage altéré par la vie. Son nez déformé et ses cicatrices aux arcades évoquent les nombreux coups probablement reçus lors de combats clandestins. Ses yeux bleu vert éclaircissent quelque peux un visage éteins et crasseux. Sous la poussière noire qui recouvre son nez se devine un début de couperose évocatrice d’un penchant excessif pour la boisson. La description qui m’avait été faite de l’homme était en dessous de la réalité, car il est doté d’une carrure des plus impressionnante. Heureusement son état d’ivresse avancé me permit aisément de lui passer les fers non sans l’aide de deux agents de police locaux que j’avais amenés avec moi pour l’occasion.

L’interrogatoire fut des plus faciles. Si l’homme en imposait par sa musculature il n’en était pas moins victime de son addiction à l’alcool. Aux premiers signes de tremblement, signifiant un manque irrépressible de boisson, il me raconta toute l’histoire en échange d’un verre de whisky. Même le plus fort des hommes n’est pas exempt de faille.

Il m’a donc révélé quelque chose de troublant et d’étrangement en lien avec votre frère. Le 16 novembre dernier, juste après avoir gagné un combat clandestin, Henry fut abordé par un homme encapuchonné. Henry me jura que celui-ci l’a engagé pour protéger lord Mortimer lors d’une rencontre prochaine qui aurait lieu le 18 novembre sur les quais de la Tamise non loin du shakspear’s Globe. Henry reçut 50 Livres d’avance et 50 Livres devaient lui être versées après la rencontre. Mais notre homme à capuche n’a pas choisi le bon cheval.

Que fait un alcoolique qui reçoit une forte somme d’argent ?

Il le dépense en boissons. Et 50 Livres sont une somme qui permet de boire sans discontinuité pendant des semaines. Surtout au vu des tarifs pratiqués dans les bas quartiers de Londres. Il passa beaucoup de temps au Raven’s Bock et il fit un bel étalage de son argent.

Au final Henry était tellement saoul qu’il oublia de se rendre sur place le moment venu.

Il me raconta qu’il s’était endormi sur un banc de Hyde Park bravant l’interdiction d’y pénétrer après 20 heures. Il perdit sa caquetée durant la nuit. Selon lui, son nom est brodé sur cette dernière. J’ai quelque doute sur cette affirmation, car l’homme ne sait pas lire.

Pourriez-vous vérifier ses propos auprès des préposés aux objets trouvés du parc  ?

Il est à noter cependant que la casquette retrouvée dans la main de la victime est trop petite pour le crâne de Henry Brown.

Il s’est fait réveiller au petit matin par le gardien du parc qui l’a chassé. Puis dans un éclair de lucidité, l’homme décida de prendre la fuite vers sa ville natale afin de se faire oublier. Il avait manqué à son devoir et devait disparaître afin d’éviter les représailles de son mystérieux employeur.

C’est ainsi qu’il se rendit çà Luton.

Pour moi l’enquête arrivait dans une impasse. Plus aucun témoin. Et un coupable avec un possible alibi.

Mais tout changea avec votre lettre et un article du Times du 15 novembre dernier, que je joins au courrier. Je remercie le ciel de m’avoir octroyé une bonne mémoire qui me permit de me souvenir de l’article.

ARTICLE DU LONDON TIMES DU 15 NOVEMBRE :

UN VOL DE HAUT VOL !!!

Dans la nuit du 13 au 14 novembre dernier un vol des plus spectaculaire fut commis dans la résidence secondaire de Lord Hutington à Dunstable. Le voleur semblait extrêmement bien informé, car un collier en diamant d’une grande valeur fut subtilisé au nez et à la barbe du personnel de maison qui dormait paisiblement pendant le terrible méfait. Les malfaiteurs sont entrés par les toits sans commettre aucune effraction, car une fenêtre avait été laissée ouverte par mégarde.

«  Nous n’écartons aucunement une possible complicité du personnel de maison » relate l’inspecteur Taylor de Scotland Yard en charge de l‘enquête.

Durant ce cambriolage seul le précieux bijou fut emporté. Une pièce inestimable= habilement cachée dans un coffre dissimulé qui ne semble pas avoir posé de problème aux cambrioleurs, car il fut également ouvert sans effraction.

Pour l’heure l’enquête piétine, mais la Police de Sa Majesté espère en apprendre plus avec l’interrogatoire des employés de Lord Hutington.

Andrew Petterson

Après avoir retrouvé cet article, je me suis rendu tout de suite à Dunstable. Lord Hutington ne souhaita pas ma me recevoir prétextant qu’il avait déjà tout dit à l’inspecteur Taylor. J’ai pu tout de même participer à l’interrogatoire de Betty Findray, la femme de chambre de lord Hutington. Cette dernière clama son innocence, mais révéla une information importante. Lord Mortimer est venu rendre visite à Lord Hutington le 11 novembre dernier.

Pour moi le lien c’est fait rapidement dans ma tête. Lord Mortimer serait-il impliqué dans ce cambriolage. Sinon pourquoi sa veuve aurait-elle reçu en cadeau un magnifique collier en diamant associé à de nouveaux égards amoureux de la part de son mari ?

Je sais ce que vous pensez. Je me permets de porter un début d’accusation à l’encontre d’un homme de haut rang. D’autant que je prends la liberté de vous évoquer ouvertement cela alors que vous êtes vous-même membre de l’aristocratie. Mais pour moi, seule la vérité compte et si complicité il y a, il est de mon devoir de le découvrir.

Cependant, il reste encore trop d’inconnues. Lord Mortimer avait-il des problèmes d’argent ? Pourquoi ce rendez-vous nocturne ? Qui est cet homme encapuchonné ?

Il nous faut en premier lieu valider ma théorie. Collier étant unique, c’est une pièce qui est obligatoirement dotée d’une gravure de l’orfèvre qui l’a créé. En l’occurrence John Lampfert. Les initiales J. L. devraient se trouver inscrites sur ce collier si tel est le cas il serait bon que ce collier soit amené à nos bureaux pour authentification. Qu’en pensez-vous ?

Je n’ose même pas imaginer les remous provoqués si ma théorie devait se confirmer. Mais il comporte avant tout que la presse ne soit pas au courant. Je sais que la presse mondaine est assez aguerrie en matière d’enquête croustillante. Si jamais un journaliste apprend l’existence de ce collier parmi les bijoux de Lady Mortimer, notre affaire se compliquera et la Famille Mortimer risque de subir un discrédit qu’elle ne mérite pas. Je m’en remets à vous. Vos liens avec la veuve de la victime nous serviront grandement pour avancer dans cette affaire.

Je vais poursuivre l’enquête. Il me faut maintenant retrouver votre frère. C’est la clé. Et c’est la seule personne que nous pourrions décrire à d’éventuels témoins. J’espère prochainement vous annoncer une bonne nouvelle et pouvoir de nouveau goûter votre fabuleux gâteau à la carotte.

Je sais que je vous en demande beaucoup. Et je m’en excuse par avance. Je n’ai rien a exigé de vous, mais au fil de nos échanges je pense que vous à connaître mon tempérament.

Ne vous mettez pas en danger quoi qu’il advienne, vous avez beaucoup à perdre.

Amicalement

Gordon Brown.

Les brouillards de Londres – e02

Londres, Angleterre, 28 novembre 1877


Gordon,
Quel soulagement de recevoir votre lettre. Avant qu’_lle ne me parvienne, en effet, j’étais déjà informée de l’identité de l’individu retrouvé assassiné dans la Tamise. Lord Mathew Mortimer… Je ne saurais vous décrire l’effroi qui m’a parcourue à la lecture de son nom. Mortimer, cet homme dont la générosité n’avait d’égale que l’arrogance. Le genre de politicien qui contourne tout obstacle avec ce ton d’évidence des puissants face aux choses impossibles. Mais surtout… un homme auquel s’est particulièrement intéressé mon frère, je crois, quelqu_s temps avant sa disparition.

Oui, Gordon. Je n’en suis pas c_rtaine, mais il m’a bien semblé que Robin était pensif et préoccupé, ces dernières semaines. En tout cas, il était différent. Jusqu’à ce jour, j’ai bien pensé qu’il rencontrait de nouvelles difficultés dans l’élaboration de sa grande société de travail du tissu. Mon frère s’est toujours épris des folles ambitions comme s’il ne pouvait percevoir la saveur de sa vie qu’au travers de ce dont il l’agrémente, à la manière dont on sale un plat avant même d’en avoir porté la première cuillère à ses lèvres. C’est le s_ul héritage qu’il aura reçu de mon père.
Mais à présent, les choses m’apparaissent sous un nouveau jour. Et si Robin avait obtenu quelconque information en lien avec la mort de Lord Mathew Mortimer, deux mois plus tard ?
Tout a commencé au début du mois de septembre dernier.
Robin a r_çu la visite d’un homme qui n’a pas souhaité ôter sa capuche et laiss_r apparaître son visage, resté caché à mon regard tout au long de leur entrevue. Vous connaissez la suite : mon frère a disparu sans laisser de traces ni de message.
Alors, j’ignore si les deux affaires sont liées, mais tout c_la me laisse bien perplexe.

Mortimer assassiné… Ici, à Londres, tout le monde n_ parle que de cela. Si le meurtrier espérait faire disparaître notre homme afin que l’on ne se penche pas de trop sur ses affaires personnelles, c’est bien raté. A moins que son intention n’ait été autre ?
En tout cas, j’essaie d’avancer sur ces questions. Je me suis rapprochée il y a deux jours de la veuve éplorée, lui proposant mon soutien dans le secret espoir qu’elle me délivrerait quelque information. Tout ce que j’ai pu en obtenir, c’est que Lord Mathew Mortimer se montrait plus attentionné avec elle, ces derniers temps. Qu’il était devenu « l’homme aimant et serviable » qu’elle n’avait jamais espéré rencontrer en lui. Il y a quelques s_maines, elle est tombée par inadvertance sur un somptueux collier de diamants dans ses affaires personnelles. Elle se souvient même que dans l’excitation et la précipitation, elle a omis de le remettre dans son écrin. Il le lui a offert un p_u plus tard lors d’un dîner absolument royal.
De votre côté, j’espèr_ que vous aurez obtenu de nouveaux indices au sujet d’Henry Brown.

Hélas, je n’ai guère plus le coeur à préparer des gâteaux à la carotte. Le doute et l’inquiétude se sont emparés de mon esprit et le dominent un peu plus chaque jour, dans une étreinte lancinante. Si la pâtisserie est en _ffet une activité à laquelle je m’adonne volontiers en temps ordinaires, ces dernières semaines à fréquenter la police ne font que renforcer mon désir de retrouver, justement, ma vie ordinaire. Et puis, quand on a une mère, elle-même issue d’une grande famille d’aristocrates, qui a épousé un haut commissaire britannique, à dire vrai, on n_ refuse pas la proposition d’assister la jeune police de Skotland Yard pendant quelques mois. A une époque où très peu de femmes peuvent se prévaloir de pareille opportunité, je ne me suis pas fait prier. Et puis, l’hypothèse de Sherzey n’est pas inintér_ssante, après tout : qui d’autre attirerait moins de suspicion et de méfiance qu’une femme, dans les affaires policières, pour obtenir des renseignements et se rapprocher des réseaux se criminels que nous avons tant de peine à contrôler en nos contrées. Puisse ceci ne rester qu’une expérimentation, car mon impatience à rentrer chez moi grandit à m_sure que les jours passent !
Veuillez me pardonner de la qualité moyenne de l’impression, ma machine à écrire est aux années ce que les puissants sont aux fortunes : elle les accumule !

Amicalement,
Elena May.

Les brouillards de Londres – e01

Luton, Angleterre, 21 novembre 1877

Chère Collègue.

J’ai bon espoir que ce courrier vous parviendra au plus vite. Je sais que vous êtes inquiète de ne pas avoir eu signe de vie depuis mon départ il y a trois jours suite au signalement de la découverte de ce cadavre repêcher dans la Tamise.
Rassurez-vous, je suis vivant. Et si je vous écris depuis Luton c’est bien parce que mon enquête m’y a menée. 

Mais pardonné moi d’oublier les bonnes manières en ces circonstances. Je tiens toutefois à rester Gentleman. Je sais que vous avez été très occupé avec la disparition de votre frère. Je n’ai pas eu le temps de vous demander si vous aviez eu une piste et si l’inspecteur Principal Sherzey vous a autorisé à enquêter sur cette affaire qui vous concerne au plus au point. J’entends bien vous aider dès que cette affaire de meurtre sera résolue. J’espère malgré tout que vous continuerez à nous cuisiner cet excellent gâteau à la carotte dont vous avez le secret. Tout le service en parle encore. Aviez-vous travaillé en la pâtisserie auparavant?

Ne voyez pas dans mes questions une forme d’indiscrétion mal placé, mais j’aime connaitre les personnes avec qui je travaille et nous faisons équipe depuis peu. De plus, je suis actuellement dans le train qui me mène à Luton et j’ai passablement le temps de rédiger cette lettre et d’y ajouter quelques petites questions personnelles qui nous permettront de nous connaître et de former une équipe des plus efficace lors de mon retour. Je pense que mon enquête m’obligera à voyager souvent dans le pays. Je vous enverrais de nombreuses lettres. Nous profiterons donc de ces correspondances pour évoquer l’enquête tout en parlant de nous. D’ailleurs pour nos correspondances, vous pourrez m’écrire directement au Station Hotel 40a Guildford St, Luton LU1 2PA. C’est là que je vais descendre à mon arrivée à Luton.

Revenons-en à notre affaire. Le 18 novembre dernier, je suis parti précipitamment suite au télégramme indiquant qu’un cadavre avait été repêché dans la Tamise à la hauteur du Shakespear’s Globe. A mon arrivé, la victime était allongée sur le quai les premiers, agents de police étaient déjà présent. Il ne fut pas nécessaire d’interroger les témoins pour l’identifier. Ce n’était autre que Lord Mathew Mortimer. Le célèbre politicien et ami de la Reine. Autant dire que cette affaire va faire grand bruit. Mais si vous avez lu les journaux, vous connaissez déjà l’histoire et la cause de la mort. Celui qui a étranglé le pauvre homme avait une force de géant, car la nuque a été brisée lors de l’étreinte. Puis le corps fut jeté dans l’eau. Dans la main du défunt, une casquette élimée a été retrouvée. L’homme la tenait si fermement qu’il a été impossible de lui enlever plus l’examiner plus avant. Cet objet appartenait à son agresseur sans l’ombre d’un doute.

Mais, ce qui est indiqué dans le London Times est faux. Ce n’était pas un vol qui a mal tourné. La victime avait encore son argent et objets de valeurs à lui quand son corps a été sorti du fleuve. Ceci indique donc qu’il n’a pas été tué pour ses possessions, mais pour une raison tout autre. Les mobiles pour tuer une personne aussi importante sont légions. Aussi, je souhaiterais que vous alliez enquêter dans la haute société histoire d’en apprendre plus sur Mortimer et surtout de lister ses ennemis. J’avoue ne pas connaître son domaine de prédilection. C’est juste un homme d’affaire important. Il serait intéressant d’en apprendre plus à ce sujet. Votre présence à Londres vous permettra d’en apprendre plus.

Après avoir jeté un œil au corps, j’ai laissé les agents interroger les passant et me suis dirigé vers le Raven’s Bock, un tripot dont je connais bien le propriétaire. Je vous épargne les multiples péripéties pour obtenir le droit d’entrer dans son établissement. Mais au final, j’ai appris qu’un docker, nommé Henry les gros bras aurait quitté précipitamment le quartier dans la nuit. Certains ont affirmé qu’il est venu boire un verre ou deux au tripot et qu’il aurait offert une tournée générale à tout le monde. Chose qui n’est pas dans ses habitudes. Son veston était quelque peu déchiré et il n’avait plus sa casquette. On raconte, qu’avec l’effet de l’alcool il aurait déclaré vouloir quitter Londres le soir même car un travail lucratif lui permettrait maintenant de ne plus avoir besoin de décharger les bateaux. 

J’ai évidemment suivis la piste. Et en allantsur les dock, j’ai rapidement appris que l’homme avait fait ses bagages pour retourner dans sa ville natale. Luton. L’homme s’appelle en fait Henry Brown. Il est grand, fort et semble une personne sans scrupule. 

Me voilà donc en route pour Luton en espérant trouver plus d’informations. Lorsque ce courrier vous parviendra, je serais surement entrain d’appréhender le suspect. En tout cas, tel est mon objectif. 

Amicalement,
Gordon Smith.

Les brouillards de Londres – présentation

Et nous voilà de retour dans les échanges épistolaires. Les brouillards de Londres sont comme une fresque à la Sherlock Holmes avec des meurtres, des mystères et des trahisons comme on pouvait le concevoir dans le Londres Victorien.
Car tel était le thème imposé.
Cet échange a été réalisé par Cedric (Impropotames) et Anne-Eva (Nimprotekoa) et illustré pas Seb (Sebinem des Impropotames).

Cette enquête est digne des meilleures romans policiers et vous tiendra en haleine de longues heures..

Have Fun …

Fest’off – l’impro à 5000 Gb/s

Au revoir Fest’up 2021… Bonjour Fest’off !!!

Et oui, nous aurions dû nous retrouver sous les feux de la rampe du 11 au 15 Mai prochain mais hélas la situation sanitaire nous empêche (encore une fois) de monter le fameux festival d’improvisation tant attendu…

Du coup, nous vous proposerons tout une série de petits évènements « en ligne » lors de ces 5 journées !

Ateliers, spectacles et surprises seront au rendez-vous, restez connectés ces jours pour obtenir tous les liens des différents évènements.

En attendant l’échange épistolaire suivant « dans le Londres victorien », dont la publication été prévue pour Mardi 4 Mai, est repoussée au 15 Mai pour nous concentrer sur l’organisation du Fest’off.

Have fun !! restez connectés..

Premier event officiel de ce fest’off:

Opening,
Un direct sur Facebook depuis les studios de l’OSCAR à 18h15 Mardi 11 Mai !!!

https://www.facebook.com/events/320155346131517

Des deux rives – The End

Sundheim, le 31 mai 1961 

                Ma petite chérie,   

                La fierté que j’éprouve aujourd’hui pour toi est très grande. Le chemin que tu as accompli jusqu’ici me comble de joie. Malgré, une naissance pendant la guerre, la perte d’un parent, tu as su trouver ta voie et vivre de ta passion. 

                Je suis tellement déçue de ne pas avoir pu assister à la première de ta pièce. Je me console en me disant que tu aurais été encore plus stressée, si tu m’avais su dans la salle. Tu vas être contente, Klaus a décidé de m’offrir le voyage jusqu’à Paris, pour venir voir une de tes représentation. J’ai tellement hâte de pouvoir te voir sur scène. Je connais Romy Schneider mais pas le comédien qui lui donne la réplique, un certain Alain Delon. J’ai entendu dire que c’était un très bel homme. 

                Nous arriverons à Paris le 7 juin et nous ne resterons que trois jours, c’est difficile de s’absenter trop longtemps de la ferme. J’en profiterai pour acheter une ombrelle et quelques accessoires pour le mariage.   

                Je t’embrasse très fort mon trésor 

                                                               Ta marraine qui t’aime 

PS : Le prochain mariage sera peut-être le tien ! 

                Ma très chère petite Choucroute, 

                La sensation de t’écrire à nouveau est vraiment très bizarre, je suis replongée il y a deux décennies plus tôt. Heureusement, les circonstances sont plus gaies aujourd’hui. 

                Klaus a trouvé un petit hôtel dans le 4ème arrondissement de Paris pour vous rejoindre, quelques jours. Je suis si impatiente de vous retrouver dans cette superbe ville. J’espère que tu vas jouer le guide et nous faire découvrir pleins d’endroits magiques, en peu de temps. Le travail ne nous laisse pas assez de sursis mais changer un peu d’air, nous fera un bien fou.  

                Je suis tellement contente pour Bettina et comme toi, je suis très fière d’elle. Je remercie Hilda de lui avoir fait la classe avec nos autres enfants pendant que l’on travaillait. C’était la plus jeune et elle a pourtant appris à lire très jeune. A l’époque, je trouvais marrant qu’Hilda les fasse jouer des pièces de théâtre pour les occuper. C’est vrai, que nous avions si peu de livres, que ce n’était pas facile de faire travailler six élèves avec une si grande amplitude d’âges. 

                Suzelle a fait aussi du chemin depuis la fin de la guerre et a travaillé dur pour avoir un métier qui est plutôt réservé aux hommes. Je suis tellement heureuse que tu aies refait ta vie avec Moritz, il est si gentil et Stefan l’aurait approuvé. 

                Je n’ai jamais osé te demander pardon pour la mort de ton mari, le père de Bettina. Si je ne vous avais pas proposé de nous rejoindre à la ferme, il n’aurait pas dû se sacrifier. J’éprouve encore beaucoup de remords à cette pensé mais égoïstement, je suis contente que Suzelle, Bettina et toi furent en sécurité et alimentées au sous-sol. Ton soutien a été d’une grande aide pour moi et t’apporter le mien me faisait tenir le coup. Après toutes les épreuves que nous avons passées ensemble, notre amitié est éternelle. 

                Avant la guerre, j’ai longtemps pensé n’avoir qu’un seul enfant et pourtant après, je me suis retrouvée avec Klaus à élever cinq enfants. Elsa, Philipp, Lili et Markus sont comme les nôtres, heureusement que Martina et Hilda nous ont aidées. Hans les considère également comme tels, ainsi que Bettina. Aujourd’hui, ils sont adultes et je suis fière de chacun d’entre eux car ils ont une famille, du travail et ils sont tous heureux. 

                C’est tellement agréable de savoir que tu habites juste à quelques mètres de chez moi avec ton compagnon. Je sais que tu es en sécurité, que je peux compter sur toi, à n’importe quel moment du jour ou de la nuit et vice-versa. 

                Au fait, je ne devrais pas t’en parler mais c’est plus fort que moi, j’ai surpris nos hommes discuter avant votre départ pour Paris. Ils parlaient d’une surprise pour nos cinquante ans à toutes les deux, mais je n’en ai pas plus entendu. Je suis impatiente de savoir ce qu’ils nous ont concocté ces deux-là ! 

                Les préparatifs du mariage de ma petite Elsa sont presque finis, merci pour ton aide précieuse. J’ai tellement de plaisir de savoir que je vais revoir toutes les personnes que j’aime à cette occasion, tous les membres de ma famille, ton papa, Ada, Bettina, Moritz et toi. Je suis également impatiente de la venue des Etats-Unis de Juliette et Erik, depuis la fin de la guerre, on ne les a presque jamais revus. 

                Tu pourras dire à Suzelle que l’opération d’Hilda a très bien réussi, qu’elle marche très bien et sans douleur. Elle aussi pense qu’il n’y a pas assez de femmes qui travaillent et encore moins avec des postes qui demandent des compétences. Elles donnent des cours de soutien bénévolement aux élèves motivés dont les parents n’ont pas les moyens de payer. Je soupçonne qu’elle a la nostalgie de lorsqu’elle faisait la classe au sous-sol. 

                Je te dis à très vite ! Dès que nous serions installés à l’hôtel le 7 juin, nous vous rejoindrons chez Suzelle, à l’adresse que tu m’as donnée. 

                Prends bien soin de toi, je t’embrasse très fort ainsi que Suzelle et Moritz 

                                                                                              Ta petite Brezel chérie à qui tu manques 

PS : A la fin de l’été, nous partirons visiter les Etats-Unis, Juliette nous a invité et Klaus laissera Hans s’occuper de la ferme pendant trois semaines 

Des deux rives – e11

Paris,                                                                                                                   le 28 mai 1961, 

                                               Ma très chère Marraine,  

          Aujourd’hui est un grand jour, c’est ce soir la première représentation de notre pièce «Dommage qu’elle soit une putain » au petit Théâtre de Paris. Autant avouer d’emblée que je suis morte de peur. La salle sera pleine à craquer, les spectateurs se bousculent pour voir la comédienne allemande, Romy Schneider, je pense que tu en as entendu parler. C’est un immense honneur de pouvoir jouer avec elle. Je suis si contente !  

  Je pense à toi, à ton soutien permanent, à tes mots justes et encourageants qui me rassurent et me donnent une grande confiance. Je ferme les yeux et je t’imagine sur ton grand piano bleu nuit interprétant « Für Elise » de Beethoven J’aurai tant aimé que tu sois là… même si je sais que tu as beaucoup à faire en ce moment avec les préparatifs du mariage d’Elsa. 

Fait du hasard, cette date, le 28 mai, me blesse et me plonge immédiatement dans le passé et à cette douleur que je n’ai pas comprise tant j’étais petite. Perdre mon parent, une personne si chère à mon cœur…  

Bon, j’en connais une qui insiste pour t’écrire à son tour… 

Je t’embrasse très fort !  

Ta petite Bettina 

PS : On se voit fin juin pour fêter la noce , j’ai hâte de tous vous voir, de danser, de chanter avec vous!!! 

                                                               Ma Bretzel chérie,  

Paris, Quelle ville incroyable et formidable ! La prochaine fois, tu viens avec moi ! Je suis si fière de ma petite Bettina (elle râle pour « petite », elle aura la majorité dans deux mois, je ne réalise pas). Je l’ai vu à la répétition générale, elle est incroyable et joue si bien au théâtre, rien à envier à cette fameuse Romy !  

Nous sommes tous les trois chez ma sœur Suzelle dans le 4ème arrondissement. Nous ne la voyons pas beaucoup car elle travaille énormément. Elle s’est spécialisée en chirurgie réparatrice et reconstructrice mais continue tous un tas de types d’interventions chirurgicales. Elle a l’air épanouie, c’est le principal. Elle est heureuse de vivre ces derniers mois avec sa nièce.  Bettina répète tous les jours.  Moritz, quant à lui, est content de profiter de la gastronomie française et aime se promener avec moi le long des quais de la Seine. Cette ville est d’un romantisme !   

Je profite de mon passage à la capitale pour t’écrire un mot, cela fait si longtemps que ça n’est pas arrivé forcement… on ne se quitte quasiment jamais ! T’écrire m’évoque tant de souvenirs…  

Jour pour jour, il y a dix-neuf ans, nous ressentions une peine immense, celle d’avoir perdu mon mari, le papa de Bettina. Notre Stefan adoré. 

Je me souviens que ta dernière lettre à Nancy m’avait apporté énormément d’espoir. Et, quelle surprise j’avais eu en voyant arriver ses messagers dans leur petite camionnette blanche aux feux jaunis. Je revois comme si c’était hier le grand Erik et la brave Juliette, les bras chargés de nourriture. Je ne savais pas comment les remercier, nous crevions de faim à cette époque. Ma petite Bettina n’en revenait pas de goûter tant de saveurs différentes.  

A ce moment-là, papa semblait de nouveau inquiet pour notre sécurité, il avait beaucoup parlé avec Erik et Juliette. Ils avaient décidé d’emmener papa avec eux vers le Sud de la France ainsi que deux adolescents recherchés par la gestapo. Et, au retour, je me rappelle qu’Erik et Juliette devaient nous aider à vous rejoindre en Allemagne. J’étais folle de joie, Stefan rassuré, il ne pouvait pas voir ma tante et supportait mal le manque de place dans sa maison. Suzelle était plus mitigée, elle préfère la ville et pensait encore à ses fameuses études…  

Après quelques semaines, il ne nous restait plus de nourriture. Juliette et Erik tardaient à arriver… Nous sommes allés en train à Strasbourg prétextant un parent mourant à aider. Ma tante nancéenne devait prévenir ton frère et lui demander de nous retrouver à la boutique de Strasbourg.   

Ne les voyant pas venir, nous avions décidé de parcourir ces dix kilomètres seuls, c’était tellement peu, si proche, à portée de main. Il était très tôt, le chaud soleil de mai se levait seulement. Je portais ma Bettina sur le dos ou sur les épaules. Stefan étant trop gêné par son membre supérieur. Suzelle était chargée d’un sac contenant quelques affaires personnelles et denrées pour le trajet. Les rues étaient désertes, cela paraissait si facile. Mais, comment franchir le pont sur le Rhin… il y avait en permanence des gardes… Nous nous sentions découragés quand nous avons aperçu la petite camionnette blanche qui circulait sur les quais. Erik connaissait un pont plus discret où un allemand nous laisserait passer contre de l’argent (qu’il nous donna). Lui, devait rester en France pour d’autres missions avec Juliette qui ne se passaient pas comme prévues. 

Le soleil commençait à être bien haut dans le ciel, nous nous sentîmes vainqueurs dès que nos pieds se posèrent de l’autre côté du rhin. Cela fût de courte durée, une voiture de la gestapo arriva à toute vitesse, à nos trousses. Je n’avais jamais eu si peur, nous avons couru le plus vite possible vers un chemin de forêt, ma petite Bettina pesant toujours dans les bras. Je ne voyais plus Stefan. Je me retournai. Stefan n’avait pas fui, il faisait ça pour nous, il se sacrifiait. Je voulais faire demi-tour mais nous devions continuer, pour notre fille.  Un coup de feu retenti. Suivi d’une dizaine d’autres. Tout à coup, Une voiture s’arrêta, un petit rouquin nous pressa de monter, nous l’écoutâmes sans réfléchir. Il nous conduisit jusqu’à chez vous.   

La suite, tu t’en rappelles… La chaleur nous écrasait presque autant que la douleur…. Nous étions sortis de la voiture de Moritz (notre Renard) et avions trouvé un réconfort sans faille dans vos bras. Je n’oublierai jamais ces moments, vos étreintes réconfortantes et vos mots, « nous sommes là, ça va aller ».  Je venais amener mon soutien pour Helmut mais nous nous sommes soutenues mutuellement. Cette guerre est une peste qui nous a volé nos proches, nos années. Que l’on soit français ou allemand, nous avions tous à y perdre…  

Nous ne pouvons pas nier qu’elle a juste cimenté encore plus notre amitié.  

Je ne sais pas pourquoi je t’écris tout cela, j’en ai probablement besoin, nous en avons si peu reparlé par la suite… Je ressens aussi une énorme gratitude envers toi et ta famille. Vous nous avez accueilli, caché, nourri. D’accord, nous participions au potager, à masser les cervicales de ton papa, à nourrir les bêtes mais ça n’est jamais pénible car nous sommes ensemble. Tu te souviens, Suzelle se prenait pour l’infirmière en chef avec tous les médicaments détournés. Et, grâce à Klaus, nous avons pu manger à notre faim tous les jours. Je salue son courage incroyable encore une fois. 

Et, quel bonheur de voir tous ces enfants grandir ensemble, comme une seule et grande fratrie : complice, bruyante et soudée. Hans, Bettina, Elsa, Philipp, Lili et le petit Markus poursuivi sans arrêt par Sidonie et Hopla.  

Aujourd’hui, je suis si heureuse du chemin parcouru, d’avoir pu racheter la ferme à coté de chez toi avec la vente de la boutique. D’avoir retrouvé un super compagnon pour partager ma vie, moi qui ne m’imaginais qu’avec un grand brun, j’aime maintenant petit roux. Nous avons tenu nos promesses avec nos innombrables sorties baignades avec les enfants, et quel bonheur de continuer avec tes petits-enfants.  

 Les souvenirs de notre enfance reviennent, encore et encore et je m’en fais une joie de les partager au quotidien avec toi. C’était il y a si longtemps… Tu imagines, nous fêtons nos cinquante ans bientôt !  

D’ailleurs, sais-tu enfin quand vous allez partir en voyage avec Klaus cette année ? S’il fait comme l’an passé, à ne pas vouloir déléguer ses moutons vous y serez pour la fin de l’automne. Je suis moqueuse !  

Papa et Ada viendront pour la fête au début de l’été, c’est un long voyage depuis Marseille mais à soixante-douze ans, il est encore en forme et ne voudrait le rater pour rien au monde. Elsa est un peu comme sa petite fille aussi. 

Cela fait seulement une semaine que nous nous sommes quittées mais cela me semble déjà bien long. L’herbe verte de notre campagne me manquerait presque.  

Je t’aime fort ma Bretzel, prend soin de toi et à très vite ! 

 Embrasse fort toute la famille de notre part.  

Ta choucroute qui t’aime pour toujours. 

PS : Suzelle me fait passer deux messages à Hilda : elle espère que son pied bot opéré va bien et qu’elle peut remarcher plus normalement maintenant.  

Et, si elle repère des élèves intelligentes et motivées par les études dans son école, qu’elle les pousse à continuer, il y  a si peu de filles en médecine, ou dans les études supérieures, c’est honteux !  

si tu veux me répondre, je suis au : 12 rue Alsace-Lorraine 75 004 PARIS encore deux bonnes semaines au moins.

Des deux rives – e10

  Sundheim, le 7 avril 1942 

                Ma chère amie Bertille,   

                Tes pensées pour Helmut me vont droit au cœur et ta description que tu fais de lui, me rappelle tous les bons moments que nous avons passé tous ensemble, enfants. Je maudis cette guerre qui me prive de ta présence, à cet instant si tragique pour ma famille, l’absence mon petit frère est insupportable et j’aurais tellement besoin de ton soutien pour traverser ce deuil. 

                Apprendre, Stephan blessé de guerre m’attriste énormément. Mais de savoir qu’il n’y aura plus de guerre pour lui, me rassure grandement. Est-ce que les médecins de l’armée pensent qu’il pourra subir une opération pour retrouver l’usage de son bras et de sa main ? A 34 ans, ça ne doit pas être facile de se sentir diminué, j’espère qu’il pourra guérir. Au village, nous avions un vieux rebouteux, il faisait un peu peur mais il aurait sûrement plus le soulager, voire même guérir. Tu te souviens peut-être de lui, il habitait juste à côté de l’église et il parlait toujours à son chat. Y aurait-il également un guérisseur pratiquant des techniques anciennes à Nancy ? Si vous en trouvez un, Stephan devrait peut-être essayer, on ne sait jamais… 

                Je suis heureuse de savoir Stephan près de Bettina et toi à Nancy. Vous êtes chez ta tante pour l’instant, mais vous devez être un peu à l’étroit, avec Suzelle, ton papa et vous trois ? Allez-vous essayer de trouver un endroit convenable pour vous loger avec une enfant en bas âge ? De quoi vivez-vous ? Je me doute que ça ne doit pas être simple tous les jours. Ça doit être affreux de partir du jour au lendemain, pour un endroit inconnu. Fermer la boutique a dû vous fendre le cœur. Espérons qu’il n’y aura pas de pillages et que vous retrouverez tous vos biens en rentrant à Strasbourg.  

                Je compatis avec Elise, Juliette est partie plus d’un an, sans se rendre compte du temps passé, loin de sa famille. Elle est restée vivre et travailler à la ferme comme si c’était son environnement naturel. Oui, elle est vraiment courageuse et à son âge elle ne devrait pas être obligée, de mettre sa vie en danger, comme elle le fait, pour le bien des opprimés de la dictature de l’Allemagne. J’en suis tellement désolée, j’ai tellement honte d’être allemande.  

                Je suis rassurée que Juliette et Erik soient tombés amoureux car avant de partir sur le front, il ne faisait que travailler et ne se souciait pas des filles. Je n’aurai pas aimé le savoir finir sa vie, seul. Ils sont si mignons tous les deux mais cette guerre ne les aide pas à être heureux. Tant qu’elle ne sera pas finie, ils ne pourront pas penser à fonder une famille et à s’engager d’avantage l’un envers l’autre. 

                Je comprends tout à fait que ton papa ne soit pas resté en zone libre avec Ada, pour continuer son rôle dans la résistance française. Je me rappelle de lui comme un homme avec des valeurs et d’une grande générosité, il ne pouvait pas en être autrement, il devait être résistant ! Juliette nous avait expliqué en quoi consistait se mouvement, qui prend de plus en plus d’ampleur. Les résistants français s’organisent entre autres, à faire passer en zone libre des prisonniers français qui se sont échappés ainsi que des militaires allemands enrôlés de force qui sont appelé les « Malgré-nous ». Je ressens beaucoup de gratitude envers ces gens qui risquent leur vie pour éviter l’emprisonnement d’innocents. Aujourd’hui, je peux affirmer que ma famille et moi-même sommes de la résistance ! Nous voulons essayer de protéger le plus possible de personnes à notre échelle. 

Je prends bonne note pour le Renard, j’espère que l’on pourra échanger des informations ensemble, également. Nous devons être très prudents pour garantir la sécurité des personnes que l’on met à l’abri. 

                Aujourd’hui, Nancy est française mais si vous sentez le vent tourner, si vous entendez des informations qui vous laisseraient pensé que vous n’êtes plus en sécurité et que vous n’avez pas le temps de rallier la zone libre, je vous convie à nous rejoindre, nous avons assez de place au sous-sol. Nous pouvons même rajouter des matelas s’il le faut et je sais où les trouver. 

                C’est malheureux de savoir que des gens dénoncent d’autres personnes, qui se font arrêter et déporter. Par chance, nous ne devrions pas être victime de délation, vu que nous n’avons plus de voisins. Comme je te le disais dans ma précédente lettre, les fermes aux alentours ont été réquisitionnées par l’armée. Quelques semaines plus tard, les soldats les ont désertés pour se rendre à Kehl ou autres destinations. Etant donné que notre dictateur déclare la guerre à de plus en plus de pays, il faut bien que des hommes s’y rendent pour combattre. Nous avons profité de la situation pour aller récupérer chez nos anciens voisins, tout ce qui pouvait nous servir pour le sous-sol. Nous avons récupéré de la nourriture, de la vaisselle, des vêtements, des lampes, des couvertures, du charbon, des médicaments, quelques armes oubliées par l’armée et divers objets. 

Je garde néanmoins un torchon blanc à proximité de la fenêtre de la cuisine, nous ne pouvons pas être sûrs d’être hors de danger, même si l’armée n’est plus dans les parages. 

                Je suis contente pour Ada, même si elle doit être très triste loin de ton papa, mais au moins elle n’est pas emprisonnée et ils pourront à nouveau être ensemble quand tout sera fini. Oui, c’est vrai j’avais oublié que les juifs sont obligés de porter l’étoile, c’est affreux de mettre ce fichu tampon sur leur passeport. J’espère vivement que la zone libre, le restera et que toutes les personnes qui s’y sont réfugiées, resteront en sécurité. 

Ni Erik, ni Klaus, ne savent où ils sont emmenés car ils ne sont pas assez gradés. Ils savent juste qu’ils partent dans des camps pour effectuer des travaux forcés. Quand, je repense à la situation, je me dis qu’Ada et même Hilda auraient pu se retrouver dans l’un de ces camps. Elles sont bien mieux, là où elles sont ! 

                Klaus va bien, jusqu’à peu de temps, il rentrait tous les week end. Il travaille dans un entrepôt près de Kehl, c’est ainsi dire à quelques kilomètres de la ferme. Au vu, de son efficacité au niveau de la logistique de redistribution de la nourriture, en direction des différents points stratégiques des combats, il a été nommé responsable de cet entrepôt. En travaillant à la ferme, depuis que nous sommes mariés, il a appris beaucoup de choses utiles dans pour être performant dans sa mission. Sa nouvelle fonction lui permet, de détourner quelques cartons de nourritures de temps en temps pour ravitailler le sous-sol. Les temps sont durs et il a pu faire du troc avec son homologue à l’entrepôt des médicaments, pour avoir quelques produits médicaux de premières nécessitées. Par chance, ils étaient à l’école ensemble et il sait qu’il peut avoir confiance en lui. C’est très dangereux pour Klaus et il sait très bien qu’il sera fusillé, s’il est découvert. Il travaille pour l’armée à contre cœur et je sais qu’il n’hésitera pas à se sacrifier pour protéger d’autres personnes.  

                Depuis, ma dernière lettre beaucoup de choses ont changé. Le lendemain du départ de Juliette, nous avons eu une visite d’un haut gradé de l’armée. Nous avons eu très peur car nous avons d’abord pensé que l’on avait été démasqué, mais si ça avait été le cas, il serait venu avec des hommes armés pour nous fusiller, comme votre boulanger ou emprisonner. Il est en fin de compte venu, nous annoncer qu’Erik était mort en URSS sur le terrain en pleine mission, mais que son corps n’avait jamais été retrouvé. Nous avons joué la comédie, en pleurant d’avoir perdu deux enfants à la guerre, à quelques mois d’intervalles. De ce fait, Klaus a été promu Sergent pour la perte de ses deux beaux-frères et maintenant il rentre tous les soirs dormir à la ferme. Ça me réjouis de le savoir avec nous, plus souvent. Il travaille beaucoup moins, il délègue une grande partie de son travail, il supervise et se consacre davantage à récupérer le plus possible de denrées sans éveiller les soupçons. 

                Erik avait déjà émis l’hypothèse, de nous quitter pour partir en France, rejoindre Juliette et surtout la résistance. Quand il a appris que l’armée pensait, qu’il était mort pour son pays, il a immédiatement commencé à faire ses bagages, sans savoir que Juliette allait revenir aussi vite. Nous avons troqué une vache contre une petite camionnette, nous l’avons chargé avec des denrées et des accessoires utiles pour la rébellion. Les voitures des résistants ont les phares jaunes, pour se reconnaitre entre eux et aussi repérer directement l’ennemi qui a des phares blancs. Ils ont eu du mal, à se procurer ces phares jaunes, en Allemagne. Les préparatifs ont été un peu long, c’est pour ça qu’Erik et Juliette ont mis un peu de temps, pour te faire parvenir cette lettre. Tu as dû être très surprise de les voir arriver tous les deux.  

                Je ne sais pas si papi, a eu de l’intuition ou non, mais il a vécu le reste de sa vie dans la crainte d’une nouvelle guerre et ne voulait pas que sa famille souffre à nouveau. Il aurait sans doute préféré que ce sous-sol reste inutilisé, oublié. Les réserves de nourritures qu’il a entassées pendant toutes ces années ont fortement diminuées, mais nous les réalimentons au fur et à mesures. Nous détournons une partie de notre production pour faire des conserves, plus ce que nous avons récupéré chez les voisins et les cartons de l’armée récupérés par Klaus. Nous pouvons tenir plusieurs mois, mais après cela va dépendre aussi de combien de personnes nous allons encore accueillir.  

                Elsa est une gentille petite fille, je ne pense pas qu’elle aura des nouvelles de ses parents avant la fin de la guerre, surtout que personne ne sait qu’elle est cachée chez nous. J’espère que nous les retrouverons plus tard et si ce n’est pas le cas, nous la garderons avec nous.  

                Maintenant que les abords de la ferme sont plus sûrs, Hilda va pouvoir commencer un potager, vers la grange avec des graines que Klaus lui a dégotées. Elle est en train de faire des semis pour qu’ils soient prêts à être plantés mi-mai. Elle espère faire encore plus de conserves et avec différents légumes pour ne pas se lasser. Quand nous étions enfants, tu te rappelles nous jouions souvent près d’un puis dans le fond de la propriété, on se demandait pourquoi il était loin de tout. Aujourd’hui, nous comprenons son utilité et pourquoi papi l’a installé ici. Elsa lui a proposé de l’aider, c’est un travail difficile mais elle fera ce qu’elle pourra.  

                Hans est beaucoup mieux depuis que la petite nous a rejoints. Je parle beaucoup avec Hans et Elsa, mais il faut toujours que je trouve les mots justes, pour ne pas qu’ils s’inquiètent d’avantage et qu’ils aient peurs, ce sont des enfants et ils ont besoin de garder une certaine innocence. Même si, la vie n’est pas rose ! 

                Bettina doit être tellement mignonne. Sait-elle marcher ? Commence-t-elle à parler ? Voit-elle d’autres enfants ? Elle est encore petite mais elle doit avoir envie de jouer. Je me rappelle que lorsque je promenais Hans petit, il voulait toujours que l’on s’arrête, pour jouer avec tous les enfants que l’on croisait. J’ai même pensé qu’il aurait besoin d’un petit frère ou d’une petite sœur. Mais, aujourd’hui je me dis heureusement, que je n’ai pas eu de deuxième enfant. A la fin de la guerre, on pourra tous se retrouver et nos enfants pourront rire et chanter ensemble. Elsa sera peut-être encore avec nous. J’ai tellement hâte de voir ta petite fille Bettina. 

                J’ai beaucoup de plaisir d’apprendre que tu as rencontré Louise et que tu passes du temps avec elle. Tes journées doivent te paraître moins longues. J’aimerais beaucoup que tu me la présentes quand ça sera possible.  

Stephan a toujours été assez discret et ne doit pas savoir vraiment où est sa place, après tous ces évènements. Il faut qu’il prenne le temps de se soigner et pas que physiquement. Ce qu’il a vécu est un traumatisme, il faut que tu sois forte et que tu lui apportes ton appui pour l’aider à traverser cette épreuve. 

Suzelle changera d’avis quand elle rencontrera le bon. Pour l’instant, c’est très bien qu’elle ait des rêves et médecin c’est un très beau métier. Elle pourra d’ailleurs, peut-être aider son beau-frère. 

                J’ai un peu honte de te dire que l’on ne manque plus de nourriture et c’est un soulagement. Mais comme je te l’ai déjà dit vous pouvez venir ici, la seule condition c’est que chacun doit aider aux tâches de la ferme. Ici, aussi il y a des topinambours mais pas que, il a des panais, des rutabagas entre autres… 

                Nous avons assez à manger et nous pouvons accueillir les trois enfants. Je serai heureuse de pouvoir venir en aide à ces jeunes. Je trouve cet instituteur remarquable, il est très courageux d’avoir mis sa vie en danger, en ville c’est beaucoup plus difficile de cacher des gens. Pour les récupérer, Juliette a donné les instructions Klaus, comme il travaille à Kehl et rentre tous les soirs, ça va peut-être plus simple que prévu. Hans et Elsa vont être contents de pouvoir jouer avec d’autres enfants. Il est prévu qu’ils arrivent à la ferme dans quelques jours, mais je ne sais pas quand exactement. Klaus étudie les habitudes de chacun pour ne pas risquer de se faire prendre. Ce n’est plus qu’une question de bon timing. 

                En remontant dans mes souvenirs, Rudolf Beomberg a toujours été bizarre. Ses parents étaient très sévères avec lui et n’avait jamais de temps à lui consacrer. Peut-être, qu’il s’est pris d’affection pour Ada car c’est une des seules personnes, qui a pris un peu soin de lui.  

                Juliette nous a appris que le gouvernement français, c’était réfugié en Angleterre et que depuis l’appel du Général de Gaulle à la BBC, les Etats-Unis étaient devenus votre allié. Je comprends tout à fait que les français et les autres peuples n’aient pas envie d’être envahis par les allemands mais combien de morts va-t-il encore y avoir ? Je suis peinée par cette situation et j’aurais tant aimé être née de l’autre côté de la frontière. 

                Recevez toute ma sympathie, prenez bien soin de vous, je vous aime très fort ma petite choucroute ! 

                Je t’embrasse fort et Bettina tout particulièrement ! 

                J’ai hâte de te lire et d’avoir des nouvelles de vous tous. 

                                                                                                              Ta Bretzel qui t’aime ! 

PS : Erik vous a apporté des vivres pour quelques semaines, j’espère qu’elles vous aideront. (J’ai veillé à ce qu’il n’y ait pas de topinambours)