Sundheim, le 28 février 1942
Ma très chère et tendre Bertille,
Effectivement, lorsque j’ai aperçu cette jeune étrangère, épuisée, vêtue comme un garçon et pleine de boue, je me suis étonnée et me suis dit qu’il fallait la mette tout de suite à l’abri, avec les autres. D’ailleurs, c’est vrai qu’elle est très jolie. Juliette, a eu beaucoup de difficultés pour arriver jusqu’à la ferme et elle a fait preuve d’une grande bravoure, après ce qu’ils ont fait à son frère.
Je suis tellement désolée pour le pauvre petit Willi, il a été tellement courageux et j’ai une pensée pour sa famille, à qui il doit manquer énormément.
Pendant cette longue période sans nouvelle de toi, mon inquiétude était telle, que je m’imaginais que des choses affreuses vous étaient arrivées. Toi aussi, tu me manques terriblement ! J’ai relu tes précédentes lettres des centaines de fois, sans me lasser.
Comme, je suis triste de ne pas avoir pu être auprès de toi pour la naissance de Bettina. Et comme, elle doit déjà être grande à 19 mois. C’est dommage, que Stefan n’ait pas pu être avec toi, pour l’accouchement. Mais heureusement, tu étais bien entourée et ça me réchauffe le cœur. Je n’aurais pas aimé te savoir seule et apeurée dans cette épreuve de la vie.
C’est un vrai honneur pour moi de savoir que tu as choisi, de donner mon prénom à ton petit ange. J’ai vraiment très envie de faire sa connaissance et la serrer dans mes bras.
Je me rappelle très bien la promesse que je t’ai faite, mais je ne pensais pas qu’une guerre se mettrait entre nous. Nous avons toujours été inséparables et nous le sommes aujourd’hui par les sentiments. Nous nous retrouverons et notre amitié sera inébranlable.
C’est vrai que ta maman, vous a quitté bien trop jeune, Suzelle et toi. Ada a été une très gentille maman de substitution pour vous et une femme remarquable pour votre papa. Je me remémore avec beaucoup de joie, tous les moments que l’on a passé tous ensemble, mes frères, mes sœurs, Suzelle et toi. Il y avait beaucoup d’animation avec 7 enfants à la ferme. C’était facile de faire croire aux petits, que Zola était un monstre, puisque c’était la seule poule noire que nous avions avec des plumes aux pâtes et qui pondait des œufs marrons, qui plus est. C’était pourtant, une très gentille poule qui nous a donné beaucoup de poussins. J’ai su plus tard qu’elle était d’une race spéciale « Marrans » et les autres poules étaient juste des poules communes, d’où la différence.
Strasbourg est maintenant allemande, tout comme l’Alsace et la Lorraine. Les répressions contre les juifs, les tziganes et autres personnes différentes sont devenues monnaies courantes. J’ai entendu que l’Allemagne avait déjà pris beaucoup de pays, mais est-ce que le sud de la France est-elle vraiment moins risquée ? Serez-vous plus en sécurité au sud du pays ? Stephan ne devra-t-il pas repartir pour reprendre son poste pour l’armée ou sera-t-il considéré comme déserteur ?
Je suis tellement heureuse que Stephan ait pu s’enfuir, pour à vous rejoindre et prendre sa fille dans ses bras. Il a vraiment eu beaucoup de chance car Dieu seul sait combien de temps, il serait resté emprisonnée ou subir un sort bien pire. Je me doute de sa joie en voyant Bettina car je visualise très bien Klaus avec notre petit Hans. J’espère que vous allez pouvoir rester tous les trois maintenant, à Strasbourg ou ailleurs.
J’ai eu très peur que Rodolf Bëomberg veuille du mal à Ada. Je ne comprends pas pourquoi il ne t’a pas dit tout de suite qu’Ada était en danger. En tout cas, je suis heureuse de la savoir en lieu sûre dans le sud de votre pays. Elle aurait été bien chez nous, mais ton papa a eu raison c’était certainement trop risqué de faire le trajet jusqu’ici. Pourquoi n’est-il pas resté avec elle ?
Dans les années 20, mon grand-père terrorisé par la guerre avait fait construire plusieurs annexes à la ferme. Dont, un bâtiment dans le fond de la propriété, qui aux abords, ressemble juste à une simple grange. Mais, cette grange a un sous-sol avec une entrée cachée. Depuis, la construction personne n’avait mis les pieds là-bas, hormis papi. Il avait couché des instructions sur un document qu’il avait remis à mon père en cas d’une éventuelle nouvelle guerre. Papa avait oublié cette lettre et la retrouvée par hasard. Nous avons trouvé cette cache, avec des lits, des couvertures, quelques vêtements, des tables et chaises, de la vaisselle, des conserves de viandes et de légumes en grande quantité et tout le matériel de survie pour tenir cacher plusieurs mois. Tout ça avait été accumulé par papi jusqu’à sa mort.
Dans ma dernière lettre, je te disais que l’armée emprisonnait les personnes qui étaient impures et pour eux les personnes handicapées le sont. Nous avons pris les devants et nous avons caché Hilda au sous-sol. Quelques jours plus tard, des soldats sont venus pour l’arrêter, nous leur avons dit qu’elle était partie avec son fiancé (bien sûr elle n’en avait pas) et que nous n’avions pas eu des nouvelles depuis. J’ai dû inventer une histoire très rapidement et j’ai dit qu’il s’appelait Karl Diesdorf. J’espère sincèrement que Karl n’aura pas d’ennui mais je me suis que de toute façon, il n’avait pas été correct avec Martina et que cette excuse me consolait. Je ne pense pas qu’ils ne l’aient retrouvé car ils ne sont jamais revenus pour chercher ma sœur. Ils ont dû penser qu’ils étaient ensemble quelques parts et que d’autres soldats se chargeraient d’appréhender ma soeur.
Par la même occasion, nous avons recueilli une petite juive de 5 ans, effrayée dont les parents ont été emprisonnés par l’armée. Nous l’avons cachée avec Hilda qui lui a fait la classe pendant tous ces mois passés, isolées toutes les deux. Hans se faufilait de temps en temps pour s’instruire également mais nous n’avons que trop peu de livres pour un réel enseignement. Même, si Elsa est plus petite que lui, il a besoin de la compagnie de cette enfant. D’une manière générale, ils se sont tout de suite très bien entendus, un peu comme un frère et sa petite sœur et ça me réjouit pour eux.
Quand nous avons caché Juliette au sous-sol, Hilda et elle sont devenues très amies. Ça faisait déjà plus d’un an qu’Hilda et Elsa étaient là-bas et Hilda était contente d’avoir un peu de compagnie d’une personne adulte. Elles ne restent pas enfermées toute la journée dans le sous-sol, elles peuvent sortir toutes les trois, au fond de la propriété à l’abri des regards. Hopla joue très bien son rôle et dès qu’un étranger s’approche de la propriété, il aboie pour alerter les fugitives à vite retourner se cacher. Juliette était tellement bien et détendue qu’elle en oublait presque qu’elle devait repartir. Et plusieurs semaines, sont passées…
Juliette nous a raconté qu’en France, ils y avaient beaucoup de personnes qui étaient contre l’Armistice et qui ne voulaient pas être allemands. Ces gens sont à l’origine d’un mouvement « les résistants » dont faisait partie Willi et dont fait maintenant partie Juliette. Ils risquent leur vie pour redevenir libres et pour essayer défendre les persécutés.
Erik et Helmut sont revenus que trop peu de fois en permissions, avant de partir sur le front en URSS. Ils avaient été fiers de se battre pour leur pays mais là, ils ne savaient même plus pourquoi ils se battaient, ils suivaient juste les ordres. C’était tué ou être tué.
Je porte le noir depuis le 9 août 41, le bataillon d’Helmut est tombé dans une embuscade et malheureusement l’ennemi n’a fait aucun prisonnier. Nous avons perdu notre petit frère, mes parents ont perdu leur petit dernier, ils sont inconsolables. Nous sommes tous inconsolables.
Erik à la nouvelle du décès d’Helmut, a fui la zone de combat. Il venait de perdre son frère, son meilleur ami dans un combat qui n’était pas le leur. Il a marché de nombreux jours, monté dans des trains sans titre de transport, il a dû se cacher et être très prudent pour parcourir plus de 6000 km. Il est arrivé chez nous éreinté le 15 décembre 41. Etant déserteur, nous avons dû le cacher avec les trois filles au sous-sol.
Contre toute attente, une idylle est née entre Juliette et Erik. Bien qu’il soit son ainé de 5 ans, ils s’aiment déjà très tendrement. Cette situation, la met dans l’embarras car juste avant l’arrivée d’Erik, elle avait pris la résolution de retourner à Strasbourg pour continuer ses actions avec la résistance. Sa famille doit se faire un sang d’encre, surtout qu’il vienne déjà de perdre un fils, eux-aussi.
Peu après le décès d’Helmut, Klaus a été obligé de partir pour le combat. Nous avons été dévastés. Je voulais qu’il se cache avec Hilda, Elsa et Juliette, mais il n’a pas voulu. Il pensait que des fouilles de la ferme auraient pu être réalisées pour le retrouver, alors les filles auraient pu être découvertes par sa faute. Hans ne comprend pas pourquoi son oncle est mort et que son père soit obligé de partir pour se battre. Heureusement, il a été affecté dans un hangar qui reçoit les réquisitions de productions de nourritures et doit les faire se rediriger sur les différents champs de batailles à proximité, selon leur besoin.
Ils n’ont pas réquisitionné notre ferme car elle est trop vieille et pas assez confortable pour eux. Nos voisins n’ont pas eu autant de chance. Tant que nous pourrons leur fournir des vivres, ils nous laisseront tranquilles. Nous avons besoin de garder notre indépendance, pour pouvoir garder notre sous-sol en sécurité pour ceux que nous cachons.
La vie à la ferme devient très difficile, il n’y a plus que papa, maman, Martina et moi pour exécuter toutes les tâches. Hans est gentil et il nous aide du mieux qu’il peut mais il n’est pas très costaud. Nous sommes vraiment fatigués mais nous tenons le coup. Hilda et Juliette s’occupent qu’en t’à elles de la couture, de faire des conserves et des jambons dans le sous-sol.
L’armée nous a pris l’hiver dernier presque tous nos cochons, même les laies en train d’allaiter. Nous avons dû donner le biberon aux porcelets avec du lait de vache. Il nous reste toujours nos vaches, ils en prélèvent une de temps en temps. Heureusement, que nous avons un taureau pour avoir des petits et donc du lait.
Sidonie et Hopla vont bien et passe beaucoup de temps avec Hans car ils se rendent bien compte que le petit homme est triste et qu’il a besoin de réconfort.
Je sais que mes nouvelles, ne sont pas très joyeuses et j’espère vivement que cette guerre sera vite loin de nous et que l’on pourra vite se retrouver tous ensemble. Et Vivre librement.
J’ai enfin réussi de convaincre Juliette de repartir donner des nouvelles à ses proches et de revenir quand elle voulait pour retrouver Erik. Nous lui avons dit que nous étions prêts à mettre à l’abri quelques juifs ou personnes en danger. Qu’elle pouvait les faire venir en étant prudents.
Donne-moi des nouvelles de toute ta famille, embrasse-les bien tous pour moi. Espérons que vous vous porterez pour le mieux et que Juliette pourra te remettre cette lettre, si tu n’as pas fui Strasbourg.
Je t’aime très fort ma choucroute, prends soin de ta petite famille et de toi-même.
A bientôt, j’espère…..
Ta petite Bretzel
PS : milles baisers à Bettina