Des deux rives – e08

Sundheim, le 28 février 1942 

                Ma très chère et tendre Bertille,   

                Effectivement, lorsque j’ai aperçu cette jeune étrangère, épuisée, vêtue comme un garçon et pleine de boue, je me suis étonnée et me suis dit qu’il fallait la mette tout de suite à l’abri, avec les autres. D’ailleurs, c’est vrai qu’elle est très jolie. Juliette, a eu beaucoup de difficultés pour arriver jusqu’à la ferme et elle a fait preuve d’une grande bravoure, après ce qu’ils ont fait à son frère. 

Je suis tellement désolée pour le pauvre petit Willi, il a été tellement courageux et j’ai une pensée pour sa famille, à qui il doit manquer énormément. 

                Pendant cette longue période sans nouvelle de toi, mon inquiétude était telle, que je m’imaginais que des choses affreuses vous étaient arrivées. Toi aussi, tu me manques terriblement ! J’ai relu tes précédentes lettres des centaines de fois, sans me lasser. 

                Comme, je suis triste de ne pas avoir pu être auprès de toi pour la naissance de Bettina. Et comme, elle doit déjà être grande à 19 mois. C’est dommage, que Stefan n’ait pas pu être avec toi, pour l’accouchement. Mais heureusement, tu étais bien entourée et ça me réchauffe le cœur. Je n’aurais pas aimé te savoir seule et apeurée dans cette épreuve de la vie.  

C’est un vrai honneur pour moi de savoir que tu as choisi, de donner mon prénom à ton petit ange. J’ai vraiment très envie de faire sa connaissance et la serrer dans mes bras. 

                Je me rappelle très bien la promesse que je t’ai faite, mais je ne pensais pas qu’une guerre se mettrait entre nous. Nous avons toujours été inséparables et nous le sommes aujourd’hui par les sentiments. Nous nous retrouverons et notre amitié sera inébranlable.  

                C’est vrai que ta maman, vous a quitté bien trop jeune, Suzelle et toi. Ada a été une très gentille maman de substitution pour vous et une femme remarquable pour votre papa. Je me remémore avec beaucoup de joie, tous les moments que l’on a passé tous ensemble, mes frères, mes sœurs, Suzelle et toi. Il y avait beaucoup d’animation avec 7 enfants à la ferme. C’était facile de faire croire aux petits, que Zola était un monstre, puisque c’était la seule poule noire que nous avions avec des plumes aux pâtes et qui pondait des œufs marrons, qui plus est. C’était pourtant, une très gentille poule qui nous a donné beaucoup de poussins. J’ai su plus tard qu’elle était d’une race spéciale « Marrans » et les autres poules étaient juste des poules communes, d’où la différence. 

                Strasbourg est maintenant allemande, tout comme l’Alsace et la Lorraine. Les répressions contre les juifs, les tziganes et autres personnes différentes sont devenues monnaies courantes. J’ai entendu que l’Allemagne avait déjà pris beaucoup de pays, mais est-ce que le sud de la France est-elle vraiment moins risquée ? Serez-vous plus en sécurité au sud du pays ? Stephan ne devra-t-il pas repartir pour reprendre son poste pour l’armée ou sera-t-il considéré comme déserteur ? 

                Je suis tellement heureuse que Stephan ait pu s’enfuir, pour à vous rejoindre et prendre sa fille dans ses bras. Il a vraiment eu beaucoup de chance car Dieu seul sait combien de temps, il serait resté emprisonnée ou subir un sort bien pire. Je me doute de sa joie en voyant Bettina car je visualise très bien Klaus avec notre petit Hans. J’espère que vous allez pouvoir rester tous les trois maintenant, à Strasbourg ou ailleurs. 

                J’ai eu très peur que Rodolf Bëomberg veuille du mal à Ada. Je ne comprends pas pourquoi il ne t’a pas dit tout de suite qu’Ada était en danger. En tout cas, je suis heureuse de la savoir en lieu sûre dans le sud de votre pays. Elle aurait été bien chez nous, mais ton papa a eu raison c’était certainement trop risqué de faire le trajet jusqu’ici. Pourquoi n’est-il pas resté avec elle ? 

                Dans les années 20, mon grand-père terrorisé par la guerre avait fait construire plusieurs annexes à la ferme. Dont, un bâtiment dans le fond de la propriété, qui aux abords, ressemble juste à une simple grange. Mais, cette grange a un sous-sol avec une entrée cachée. Depuis, la construction personne n’avait mis les pieds là-bas, hormis papi. Il avait couché des instructions sur un document qu’il avait remis à mon père en cas d’une éventuelle nouvelle guerre. Papa avait oublié cette lettre et la retrouvée par hasard. Nous avons trouvé cette cache, avec des lits, des couvertures, quelques vêtements, des tables et chaises, de la vaisselle, des conserves de viandes et de légumes en grande quantité et tout le matériel de survie pour tenir cacher plusieurs mois. Tout ça avait été accumulé par papi jusqu’à sa mort.  

                Dans ma dernière lettre, je te disais que l’armée emprisonnait les personnes qui étaient impures et pour eux les personnes handicapées le sont. Nous avons pris les devants et nous avons caché Hilda au sous-sol. Quelques jours plus tard, des soldats sont venus pour l’arrêter, nous leur avons dit qu’elle était partie avec son fiancé (bien sûr elle n’en avait pas) et que nous n’avions pas eu des nouvelles depuis. J’ai dû inventer une histoire très rapidement et j’ai dit qu’il s’appelait Karl Diesdorf. J’espère sincèrement que Karl n’aura pas d’ennui mais je me suis que de toute façon, il n’avait pas été correct avec Martina et que cette excuse me consolait. Je ne pense pas qu’ils ne l’aient retrouvé car ils ne sont jamais revenus pour chercher ma sœur. Ils ont dû penser qu’ils étaient ensemble quelques parts et que d’autres soldats se chargeraient d’appréhender ma soeur. 

                Par la même occasion, nous avons recueilli une petite juive de 5 ans, effrayée dont les parents ont été emprisonnés par l’armée. Nous l’avons cachée avec Hilda qui lui a fait la classe pendant tous ces mois passés, isolées toutes les deux. Hans se faufilait de temps en temps pour s’instruire également mais nous n’avons que trop peu de livres pour un réel enseignement. Même, si Elsa est plus petite que lui, il a besoin de la compagnie de cette enfant. D’une manière générale, ils se sont tout de suite très bien entendus, un peu comme un frère et sa petite sœur et ça me réjouit pour eux. 

                Quand nous avons caché Juliette au sous-sol, Hilda et elle sont devenues très amies. Ça faisait déjà plus d’un an qu’Hilda et Elsa étaient là-bas et Hilda était contente d’avoir un peu de compagnie d’une personne adulte. Elles ne restent pas enfermées toute la journée dans le sous-sol, elles peuvent sortir toutes les trois, au fond de la propriété à l’abri des regards. Hopla joue très bien son rôle et dès qu’un étranger s’approche de la propriété, il aboie pour alerter les fugitives à vite retourner se cacher. Juliette était tellement bien et détendue qu’elle en oublait presque qu’elle devait repartir. Et plusieurs semaines, sont passées… 

                Juliette nous a raconté qu’en France, ils y avaient beaucoup de personnes qui étaient contre l’Armistice et qui ne voulaient pas être allemands. Ces gens sont à l’origine d’un mouvement « les résistants » dont faisait partie Willi et dont fait maintenant partie Juliette. Ils risquent leur vie pour redevenir libres et pour essayer défendre les persécutés.  

                Erik et Helmut sont revenus que trop peu de fois en permissions, avant de partir sur le front en URSS. Ils avaient été fiers de se battre pour leur pays mais là, ils ne savaient même plus pourquoi ils se battaient, ils suivaient juste les ordres. C’était tué ou être tué. 

Je porte le noir depuis le 9 août 41, le bataillon d’Helmut est tombé dans une embuscade et malheureusement l’ennemi n’a fait aucun prisonnier. Nous avons perdu notre petit frère, mes parents ont perdu leur petit dernier, ils sont inconsolables. Nous sommes tous inconsolables. 

                Erik à la nouvelle du décès d’Helmut, a fui la zone de combat. Il venait de perdre son frère, son meilleur ami dans un combat qui n’était pas le leur. Il a marché de nombreux jours, monté dans des trains sans titre de transport, il a dû se cacher et être très prudent pour parcourir plus de 6000 km. Il est arrivé chez nous éreinté le 15 décembre 41. Etant déserteur, nous avons dû le cacher avec les trois filles au sous-sol.  

                Contre toute attente, une idylle est née entre Juliette et Erik. Bien qu’il soit son ainé de 5 ans, ils s’aiment déjà très tendrement. Cette situation, la met dans l’embarras car juste avant l’arrivée d’Erik, elle avait pris la résolution de retourner à Strasbourg pour continuer ses actions avec la résistance. Sa famille doit se faire un sang d’encre, surtout qu’il vienne déjà de perdre un fils, eux-aussi.  

                Peu après le décès d’Helmut, Klaus a été obligé de partir pour le combat. Nous avons été dévastés. Je voulais qu’il se cache avec Hilda, Elsa et Juliette, mais il n’a pas voulu. Il pensait que des fouilles de la ferme auraient pu être réalisées pour le retrouver, alors les filles auraient pu être découvertes par sa faute. Hans ne comprend pas pourquoi son oncle est mort et que son père soit obligé de partir pour se battre. Heureusement, il a été affecté dans un hangar qui reçoit les réquisitions de productions de nourritures et doit les faire se rediriger sur les différents champs de batailles à proximité, selon leur besoin. 

                Ils n’ont pas réquisitionné notre ferme car elle est trop vieille et pas assez confortable pour eux. Nos voisins n’ont pas eu autant de chance. Tant que nous pourrons leur fournir des vivres, ils nous laisseront tranquilles. Nous avons besoin de garder notre indépendance, pour pouvoir garder notre sous-sol en sécurité pour ceux que nous cachons. 

                La vie à la ferme devient très difficile, il n’y a plus que papa, maman, Martina et moi pour exécuter toutes les tâches. Hans est gentil et il nous aide du mieux qu’il peut mais il n’est pas très costaud. Nous sommes vraiment fatigués mais nous tenons le coup. Hilda et Juliette s’occupent qu’en t’à elles de la couture, de faire des conserves et des jambons dans le sous-sol. 

                L’armée nous a pris l’hiver dernier presque tous nos cochons, même les laies en train d’allaiter. Nous avons dû donner le biberon aux porcelets avec du lait de vache. Il nous reste toujours nos vaches, ils en prélèvent une de temps en temps. Heureusement, que nous avons un taureau pour avoir des petits et donc du lait. 

                Sidonie et Hopla vont bien et passe beaucoup de temps avec Hans car ils se rendent bien compte que le petit homme est triste et qu’il a besoin de réconfort. 

                Je sais que mes nouvelles, ne sont pas très joyeuses et j’espère vivement que cette guerre sera vite loin de nous et que l’on pourra vite se retrouver tous ensemble. Et Vivre librement. 

                J’ai enfin réussi de convaincre Juliette de repartir donner des nouvelles à ses proches et de revenir quand elle voulait pour retrouver Erik. Nous lui avons dit que nous étions prêts à mettre à l’abri quelques juifs ou personnes en danger. Qu’elle pouvait les faire venir en étant prudents. 

                Donne-moi des nouvelles de toute ta famille, embrasse-les bien tous pour moi. Espérons que vous vous porterez pour le mieux et que Juliette pourra te remettre cette lettre, si tu n’as pas fui Strasbourg. 

                Je t’aime très fort ma choucroute, prends soin de ta petite famille et de toi-même. 

                A bientôt, j’espère…..    

                                                                                              Ta petite Bretzel  

PS : milles baisers à Bettina 

Des deux rives – e07

Le 16 septembre 1941                                                                                 A Strasbourg,   

Ma très chère Amie,  

En voyant cette jolie blonde d’à peine dix-huit ans, prénommée Juliette, j’imagine que tu as tout de suite compris. Le pauvre Willi a été arrêté près de la frontière en août 40, ma lettre bien cachée dans la doublure de son pantalon. Il a été fusillé le jour même dans la cour de l’école Charlemagne pour haute trahison et échange d’informations confidentielles. Ce fût une immense tristesse pour tous ceux qui le connaissait. Sa sœur cadette Juliette, armée d’un courage incroyable décide de suivre ses pas. S’il te plait, garde-la quelques jours cachés comme tu le faisais pour Willi. Je pense qu’elle en aura bien besoin. 

J’ai tellement voulu t’écrire, prendre de vos nouvelles. Tu me manques terriblement.  

Ma petite fille est née le 28 juillet de l’an passé. Stefan n’a pas pu revenir à temps pour l’accouchement. Heureusement, Ada, Suzelle et la vieille Martine, m’ont aidé de toutes leurs forces. Quelle épreuve ! J’ai cru mourir plusieurs fois… jusqu’à croiser ses petits yeux plein de vie. Un seul prénom m’est venu en tête, c’est le tien ma petite Bretzel, je l’ai appelé comme toi. Elle s’appelle Bettina. Elle est merveilleuse. Ses sourires me soufflent l’espoir et le courage. Tout comme tu l’as toujours fait pour moi. Je me suis toujours sentie forte près de toi. Je me rappelle bien, ce vieux curé que l’on embêtait par nos farces d’enfants. Devenir Nonne, même pas peur, si l’on est ensemble…  

Ma maman nous abandonne, mais toi tu es là. Tu me fais rire et tu me jure que nous, on ne se quittera jamais. Je viens souvent chez vous à la ferme avec Suzelle. Qu’est-ce qu’on rit ! Tu te souviens quand on avait raconté aux petits que Zola la poule mangeait les enfants, surtout les petits grassouillets. Erik et Martina refusaient de s’endormir seuls. Ta mère nous avait donné une bonne leçon… Dormir au poulailler avec Zola ! Tous ces souvenirs me submergent. Je t’aime tellement. Je serai si heureuse de vous présenter ma petite Bettina.  

Je prie chaque soir pour que la guerre vous épargne, ta famille à la ferme et tes frères au front. Ils ont pu revenir en permission ? Helmut doit vraiment trouver le temps long sans sa famille. Le petit dernier reste… le petit dernier. 

Donne-moi vite des nouvelles, de tes parents, de mon filleul chéri, de tes frères et sœurs, de ton ombre Sidonie et le brave Hopla. Toi et Hans aussi bien sûr. 

Je ne sais pas encore si nous allons rester à Strasbourg. Je ne peux t’en dire plus par écrit pour l’instant.  

Stephan est avec nous. Lorsque la France s’est fait envahir, il a été fait prisonnier de guerre et a été envoyé en Allemagne. Il n’a donc pas pu me voir avec ce ventre énormissime. J’étais encore plus énervé et inquiète, ne connaissant pas la situation … Le pauvre ! Lors d’un transfert en train, il a réussi à s’échapper avec un jeune soldat. Il est revenu prudemment en se cachant souvent. Il est arrivé le 4 août, sept jours après la naissance de notre fille. Je ne l’ai jamais vu si heureux. Il pleurait comme un enfant avec un sourire de grand-mère qui mange des caramels. Je n’en menais pas large non plus je l’avoue.  

Comment ça se passe à la ferme, avez-vous toujours vos vaches et vos cochons ? La récolte de juillet/ août ne vous a pas trop épuisé ? Arrivez-vous à manger correctement ? L’armée n’a pas réquisitionné votre ferme pour s’y loger ?  

Ils font beaucoup cela dans les fermes aux alentours. C’est la panique à Strasbourg depuis l’occupation. Plus d’un an après, on ne s’y habitue pas. On entend parfois des bombardements lointains. Je préfèrerais avoir peur de Zola. Je serre mon bébé tout chaud à l’odeur de lait contre moi et je me jure de tout faire pour la protéger.  

Tu avais raison pour l’Allemand qui venait dans la boutique. Il s’agissait bien de Rudolf Bëomberg. Je m’étais beaucoup méfiée suite à ta lettre. Il a continué à venir. Et, un jour, n’y tenant plus, je lui ai demandé ce qu’il voulait vraiment, que je l’avais reconnu.  

«- Ada…. » A répondu l’ordure !
– Qu’est-ce que tu lui veux ? J’ai dit rouge de colère, énorme, prête à exploser.  
– Lui dire…. 
– Quoiiiiiiii !
-Qu’elle est en danger. On sait qu’elle est juive… on reçoit des courriers tous les jours pour dénoncer les juifs du quartier. Heureusement que ma poubelle est grande. 
-Pourquoi tu me préviens ?  
-Je ne savais pas qu’Ada était juive…. Je l’aime bien, elle me donnait des cours de piano quand j’étais petit. J’adorais ça.  

Il a tourné les talons mais a insisté avec ce danger encore une fois en appuyant son regard plus fort.  

Je n’ai pas eu le temps de le remercier… je ne l’ai jamais revu.  

Dix jours plus tard, j’accouchais. Ada a embrassé l’enfant de toutes ces forces et nous a dit qu’elle partait en zone libre dans le sud de la France. Papa a fait l’aller-retour avec sa petite valise verte. Il y a mis son cerveau dedans pour ne plus penser a-t-il dit. Je lui avais parlé de venir se cacher chez vous. La ferme est isolée et il y a beaucoup de cachettes mais, quand on voit la minutie que les soldats emploient pour débusquer de pauvres gens… Papa avait peur qu’Ada soit attrapée et que vous soyez considérés comme complices. On ne rit pas avec ça… Si tu savais ce qu’ils ont fait au gros boulanger qui fournissait en douce du pain les résistants…. 

Ma très chère Bretzel, prend soin de toi et ta famille. 
                                                    

Je t’embrasse très fort ainsi que ta famille. 

Ta Choucroute qui T’aime  

Des deux rives – e06

Sundheim, le 2 juillet 1940 

                Ma très chère amie Bertille,   

                Une grande tristesse m’a rempli le cœur en lisant les premières lignes de ta lettre. Je comprends très bien ta colère et désapprouve cette ferveur des hommes à vouloir servir leur nation. Ce qui me rappelle que mes frères sont sur le front. Certes, Stefan a perdu des personnes très proches, comme nous tous, mais s’enrôler ne les ramènera pas, malheureusement.  

Il est regrettable qu’il ne puisse pas avoir plus de permissions, alors que c’est là, pendant la fin de ta grossesse que tu as le plus besoin de lui. 

                Pendant cette période jusqu’à la naissance du petit ange, tes émotions vont être exacerbées et tu vas passer dans tous les états en un claquement de doigt. Tu vas rire, pleurer et t’emporter pour des choses sans importance et ça te fera sourire dans quelques années quand tu repenseras à ces moments. Avec Klaus, on rit souvent lorsque l’on se remémore des souvenirs de quand j’attendais notre petit Hans. Notamment, lorsque je ne supportais plus qu’il fasse du bruit en se grattant la barbe ou que le chat rentre dans notre cuisine pour déposer un mulot, nous habitons à la campagne c’est normal ! 

                Je suis contente de savoir que le bébé pointera le bout de son nez, en été. Les enfants grandissent tellement vite au début qu’il faut rapidement changer les vêtements et en cette période de guerre, comme tu le disais, il est préférable de se nourrir que de se vêtir. D’où, la difficulté pour votre boutique et il est préférable de garder le stock pour d’éventuelles ventes. C’est gentil, à Ada et Suzelle de te seconder de temps en temps car malgré tout, tu dois être fatiguée. Parviens-tu à mieux t’alimenter ? Financièrement ça doit être difficile de pouvoir rester ouvert sans trop de rentrées d’argent mais avec les charges qui tombent quand même ? 

                Stefan a dû te trouver métamorphosée lorsqu’il est venu te voir. J’espère que vous avez pu profiter de chaque instant, de ces deux jours passés ensemble. Avez-vous déjà réfléchi à des prénoms ? Sait-t-il maintenant, s’il pourra revenir quelques jours pour la naissance ? Je sais que son poste est très important pour l’armée car stratégique, mais ça serait tellement merveilleux que vous soyez réunis pour cette occasion. J’aimerais tant être auprès de toi et pouvoir t’épauler comme tu l’as fait avec moi, quand j’étais enceinte. Stefan regrettera plus tard, tous ces instants manqués durant ta grossesse. 

                Willi a l’air de faire un peu partie de votre famille, c’est un très gentil garçon et je suis également heureuse qu’il puisse faire transiter nos correspondances. Nous l’avons à nouveau logé dans la grange et nourri pendant plusieurs jours. C’est plus agréable de dormir dans la paille en été. Nous lui avons dit qu’en cas de problème, il pouvait venir se mettre à l’abri chez nous, notre propriété est grande et il y a pleins d’endroits pour se cacher. Il est prudent, espérons qu’il ne se fera pas prendre. 

                Hans est déçu de ne pas pouvoir te rendre visite et espère que la prochaine fois que l’on ira au bord de la Kinzig se sera avec toi et le bébé. Il a hâte qu’il grandisse pour pouvoir jouer avec lui ou elle si c’est une fille et faire un tas de bêtises ensemble. Il se voit déjà inséparable comme toi et moi. Il t’aime beaucoup et pense souvent à toi. 

                Ma famille se porte à merveille à la ferme et la chaleur apaise un peu les soucis de chacun. Mes frères ne sont pas encore revenus en permission, mais ils nous ont écrit. Helmut est jeune, il a du mal à vivre loin de nous, surtout dans ces circonstances. 

Je te remercie d’avoir une pensée pour chacun d’entre eux, que tu connais si bien depuis toutes ces longues années. 

                Je me rappelle que ta famille et toi aviez emménagé de France, juste à côté de notre ferme juste après la grande guerre. Ton père avait été muté par son entreprise pour aider à la reconstruction des ponts le long du Rhin pour repasser d’un pays à l’autre. Nous avions fait toute notre scolarité dans la même classe, on était toujours collées l’une à l’autre, jusqu’au jour où vous êtes repartis à Strasbourg, bien des années après. Mais heureusement, nous vivions seulement à quelques kilomètres l’une de l’autre. Ce qui nous a permis de rester très proches. Et dire que sans cette maudite guerre, nous nous ne serions jamais rencontrées.  

                Hans trépigne, il aimerait retourner à l’école mais elle est toujours réquisitionnée. Il a toujours peur, nous lui avons expliqué qu’il ne fallait pas, mais c’est difficile car même nous étant adultes nous ne comprenons pas pourquoi nous sommes en guerre.  

Nous avons également remarqué que les soldats passaient de plus en plus souvent dans les rues et qu’ils transportaient des gens dans leurs camions. Certaines personnes que je croise lorsque je dois aller nous ravitailler, disent qu’ils emprisonnent les personnes impures selon leur critère.  

                Sidonie me suit toujours comme un petit chien avec sa démarche gauche, elle est si marrante et elle ne laisse personne m’approcher. Elle me protège. Hopla est toujours aussi joueur alors qu’il n’est plus si jeune.  

Effectivement, Klaus est toujours en retard et oublie tout, il dit que je suis son pense-bête et ça me fait rire. Nous ne savons pas quand nous pourrons partir en voyage. Mais après la guerre, il va falloir travailler dur pour avoir suffisamment d’argent pour nous remettre de cette crise. Alors nous espérons vivement pouvoir partir avant nos 20 ans de mariage. Le plus important, c’est que nous nous aimions comme au premier jour ! 

                Nous n’avons pas beaucoup de naissances en ce moment car la période est passée. L’armée nous a prélevé une partie de nos moutons car c’est plus facile à emporter que les vaches. Ils nous ont donné une poignée de tickets de rationnement en riant, ils nous ont dit qu’ils reviendraient plus tard pour prendre le reste. Ils n’ont pas encore pris le temps de regarder les cochons car ils sont un peu plus loin, par chance. L’époque des moissons est entre juillet et août, nous allons donc bientôt avoir à faire une partie de la récolte. Qui sera bien sûr, directement réquisitionnée. 

Papa adore l’été effectivement, car il a beaucoup moins de douleurs et il commence à ne plus supporter le froid. 

C’est bien à l’église paroissiale Saint Etienne de Sundheim où je joue de temps en temps de l’orgue. Nous connaissons le prêtre depuis de nombreuses années et il me permet de l’utiliser. Mais, ces temps-ci, je n’ai pas le cœur pour la musique.  

Te souviens-tu, il y avait un couvent de femmes à côté de l’église. On faisait tellement d’âneries que nos parents nous disaient souvent qu’aucun homme ne voudrait nous prendre pour épouse et de que l’on finirait nos jours, là-bas. Ce souvenir me fait beaucoup rire aujourd’hui.   

                J’ai entendu à la radio, que l’Armistice demandée par la Maréchal Pétain avait été signée le 22 juin et qu’en conclusion l’armée allemande avait pris position dans le quart nord-est de la France. Je pensais la guerre était finie puisque votre pays avait capitulé, mais notre pays vient de rentrer en guerre avec l’Angleterre. Mais pour quand cette guerre va-t-elle enfin prendre fin ? Comment se passe l’occupation pour vous ? Willi aura peut-être plus de mal à passer d’un pays à l’autre, maintenant. 

                Ton histoire de soldat allemand m’intrigue. Tu te rappelles dans ma précédente lettre, je t’avais dit qu’il y avait des soldats qui étaient venus pour nous demander si nous étions juifs ou si l’on en connaissait. Je me suis souvenue plus tard, que j’avais cru reconnaitre, Rudolf Bëomberg qui était en classe avec nous. Il était toujours tout seul à l’époque et les autres élèves se moquaient toujours de lui. Est-ce que tu te souviens de lui ? Est-ce que tu penses que ça peut-être lui ? J’ai entendu dire dans le village qu’il faisait partie de la Gestapo, qui est la police secrète dans notre pays. Elle a pour but de pourchasser les juifs, les personnes différentes et les opposants à la guerre. 

                Si tel est le cas, il t’a peut-être reconnu. De ce fait, il aurait passé un peu plus de temps dans ta boutique que prévu et aurait aperçu Ada. Il a peut-être des doutes, il doit penser qu’elle est juive mais comme il te connait, il attend d’en être sûr avant de la faire arrêter.  

Ne sachant pas, s’il s’agit bien de Rudolf, s’il y a un réel danger, je ne peux que te conseiller de faire attention à Ada et même peut-être la mettre à l’abri. Je m’inquiète pour elle, maintenant elle n’est plus en sécurité à Strasbourg. 

                J’espère que ton papa et Suzelle vont bien. Embrasse-les pour moi ainsi qu’Ada et Stefan quand tu le verras. Je vous aime très fort. J’aimerais te serrer fort dans mes bras. 

                Sois prudente, prends bien soin de toi et de tes proches. 

                Puisse cette lettre te parvenir rapidement afin de pouvoir faire ce qu’il faut pour Ada et qu’elle ne tombe pas entre les mains de personnes mal intentionnées. 

                                                                              Ta petite Bretzel  

PS : Au besoin, nous pourrions la cacher ici  

Des deux rives – e05

Strasbourg, le 21 juin 1940  

Ma très chère Amie,  

Je suis dans une rage folle ! Je ne décolère pas, Stephan m’a complétement dupé ! 

Déjà, j’ai appris qu’il a postulé lui-même pour ce travail d’intendant à un ami officier. 

Ensuite, quand je t’ai écrit qu’il reviendrait toutes les quinzaines, c’est ce qu’il avait laissé entendre. Il l’a fait deux fois…. Puis m’a expliqué qu’il n’aurait des permissions QUE tous les 3 mois !!! Charleville-Mézière est beaucoup trop loin… Et, encore je dois me sentir heureuse que ça ne soit pas tous les six mois !!!! Je me demande ce qu’il cherche à prouver… Il a déjà 32 ans. Je le soupçonne de vouloir venger ses oncles et cousins arrachés prématurément à la vie lors de la première guerre. Lorsqu’il s’est proposé, il ne savait pas encore que j’étais enceinte, et n’a pas su refuser par la suite …. 

D’après le médecin, le bébé est prévu pour tout début août. Dans un peu plus d’un mois ! Stephan va revenir ce weekend. Ça va lui faire un choc de me voir si ronde. Je ne sais absolument pas s’il sera présent pour les jours préposés à l’accouchement… J’ai très peur. Je me demande comment ça va se passer, si tout va bien aller.  

Heureusement que ma famille est là. Je me sens bien entourée. J’aime retrouver la rue des jardiniers, rue de mon enfance. Suzelle et Ada m’aident parfois à la boutique. Je te l’avoue, les affaires marchent très mal depuis le début de la guerre… Les gens ne viennent qu’en ultime recours et préfèrent garder leurs sous pour manger. Je les comprends. Comme je suis en forme (c’est le cas de le dire) et qu’il y a peu de stock à ranger, je poursuis mon activité normalement. 

Ma colère me fait perdre mes bonnes manières. Je te remercie infiniment pour le jambon que l’on a dévoré, même Ada (qui pourtant est juive, sacrée Ada !) et Willi, que l’on a invité de bon cœur à partager le repas. Je lui suis si reconnaissante de passer nos lettres. Il m’a dit que s’il se faisait attraper, c’était le moindre de ses soucis… Papa l’a fusillé du regard. J’ai fait mine de rien. Suzelle aussi.  

La chaleur n’arrête pas cette foutu guerre. Je ne suis pas sûre de pouvoir me baigner avec mon cher filleul cet été dans la kinzig. Dis-lui que ça me peine énormément mais ce n’est que partie remise.  

Je suis très heureuse d’avoir pu lire des nouvelles de toute la famille. Quels parents remarquables tu as ! Je suis sûre que Martina va rencontrer un gentil mari. Karl est un idiot de l’avoir mené par le bout du nez. Elle mérite bien mieux que lui ! J’ai une grande pensée pour tes frères que j’affectionne tant mais que je ne comprends pas, (comme mon Stephan) quelle idée cette engouement pour se battre ? Ils sont jeunes et vont surement vite déchanter. Je me souviens de la grande guerre de 14. Nous avions seulement trois ans à son commencement mais la terreur est restée cachée dans nos entrailles …. C’est là que je comprends ton petit Hans et que j’ai envie de le serrer fort dans mes bras.  

J’ai ri en repensant à l’oie Sidonie, Klaus est si gentil et si souvent en retard. Comme le jour de votre mariage. Vous ferez votre voyage si tôt la guerre achevée non ? 10, 11, 12 ans ça se fête non ? Espérons que ça ne soit pas 20 !!!!!!  

C’est très étrange, depuis une semaine, un soldat allemand vient tous les jours après le déjeuner dans la boutique. Il fait mine de regarder les vêtements mais ne semble pas tant intéressé. Il reste une dizaine de minutes et s’en va. Au départ, j’ai eu peur, puis je me surprends à attendre sa venue. J’ai l’impression de le connaître mais impossible de me souvenir. Il est grand, cheveux châtains, notre âge environ, des yeux couleur noisette aux grands cils. Il parle alsacien… ou juste les mots de convenance. Aide-moi ma Bretzel, si je le connais, tu dois le connaitre également. 

Je pense très fort à vous à la ferme, je vous embrasse. Une double bise à mon filleul et à Hilda (qui compense sa boiterie par un humour décapant et un cœur gigantesque !). une caresse à Hopla et à Sidonie. 

N’avez-vous pas trop de travail avec les bêtes qui mettent bas en ces temps ? Et, la récoltes des céréales a déjà commencé ? Ton papa doit se sentir mieux, la nuque chauffée par ce soleil.

 Je me réjouis que tu puisses entrainer tes doigts sur l’orgue de l’Eglise (de Sundheim ?) même si tu mérites bien mieux, ne l’oublie jamais ! Tu es une grande artiste et tu as toujours du temps devant toi. 

Je t’aime fort.  

                                                                          Ta choucroute adoré 

Pourvu que cette lettre t’arrive ma Bretzel, tes lettres sont un soleil dans ma vie.  

Des deux rives – e04

Sundheim, le 14 avril 1940 

                Ma tendre amie Bertille,   

Ta lettre m’a remplie de joie et m’a fait un bien fou dans cette morosité ambiante. Ma réponse s’est faite malheureusement attendre dans l’incertitude de ne pouvoir te la faire parvenir. Je te remercie chaudement pour tes bons vœux et malgré l’année déjà très avancée, je tiens à te présenter les miens. Je te souhaite une grossesse des plus simples et un accouchement sans douleur avec Stephan à tes côtés. Mais dis-moi, il est pour quand ce bébé ? Car les mois passent et je ne sais toujours pas ! 

                Willi a de plus en plus de mal à passer la frontière comme tu le sais et c’est pourtant le seul moyen que nous ayons pour correspondre toutes les deux en cette période troublée. Nous allons certainement devoir espacer nos échanges pour la sécurité de ce pauvre petit Willi. Nous avons dû le cacher dans la grange pendant quelques jours car il n’était pas sécurité avec tous les contrôles. J’espère également que cette guerre se terminera rapidement.  

                Il m’arrive souvent de me réveiller la nuit car je rêve ou plutôt je cauchemarde de la guerre, pas celle-ci mais celle de quand nous étions toutes petites. Cette guerre a duré quatre longues années et j’entends encore les explosions des bombes. Je ne pensais jamais revivre un si terrible événement. 

                J’ai un peu plus de temps pour te raconter comment se passe la vie à la ferme et comment se portent les membres de la famille, vu que Willi est dans la grange. Les nouvelles ont bien changé en quatre mois. Nous avons encore faims car notre production est toujours réquisitionnée. Heureusement, ils ne prennent pas nos bêtes. 

                Klaus se porte bien mais travaille dur car il faut s’occuper des animaux, nettoyer, réparer tous les outils et clôtures et au printemps il faut également ensemencer les champs. Il va avoir 30 ans cette année et ne fait rien d’autre que travailler. Et dire que l’on devait enfin partir en voyage pour nos dix ans de mariage l’année dernière et que nous n’avons pas pu partir à cause de la situation militaire de notre pays. 

                Hans est très sage, il comprend la situation. Il ne peut plus aller à l’école car elle a été réquisitionnée par l’armée. Il a peur et s’est compréhensif bien que notre ferme soit bien à l’écart du village. Nous sommes donc assez loin de toutes les effervescences de la guerre et de l’insécurité. D’ailleurs, il te remercie vivement pour le bonnet, il lui va à ravir. Il a hâte de pouvoir jouer au bord de la Kinzig avec sa marraine. 

                Maman est fière car elle se débrouille toujours pour nous faire à manger certes en très petite quantité mais on a quand même deux repas par jour. Et ce grâce au peu de la production que nous arrivons à dissimuler avant les réquisitions et avec les tickets de rationnement. Nous avons tous beaucoup maigri mais il faut tenir le coup, cette guerre prendra bien fin un jour. 

                Papa a beaucoup aimé l’écharpe que tu lui offertes, il la porte tout le temps même à l’intérieur. Il a encore plus de douleurs avec l’humidité mais heureusement les beaux jours arrivent. 

                Ma sœur Hilda à 26 ans n’a toujours pas de mari mais avec son infirmité ce n’est pas facile. Avec son pied bot, elle a de plus en plus de mal à marcher mais elle peut quand même aider à la ferme. 

                Martina ma deuxième sœur a 25 ans et vient de revenir vivre à la ferme car fiancée depuis cinq ans, Karl a rompu leurs fiançailles. On se demandait pourquoi, ils ne se mariaient pas depuis tout ce temps. Il a pris prétexte de la guerre pour partir. 

                Mon frère Helmut va avoir 20 ans cette année, il a donc été réquisitionné par l’armée.  

                Quant à Erik mon second frère, il a maintenant 23 ans, il s’est porté volontaire lors de la campagne de recrutement de l’armée. Ils sont tous les deux très fiers de porter les couleurs de notre patrie. Mais, eux deux sont nés après la guerre finie en 1918 et n’ont pas connus la terreur. 

                Tu te rappelles de Sidonie, la petite oie que Klaus m’a offert pour mon anniversaire l’an dernier parce qu’il l’avait oublié et qu’il a tout fait pour se rattraper. Elle se porte à merveille et est très amie avec Hopla.  

                Je te remercie vivement pour cette très jolie paire de gants qui m’a été très utile pour travailler cet hiver. Je suis tellement confuse de ne pouvoir t’envoyer quelques choses en retour. En tout cas, tes présents nous ont fait très plaisir. Willi t’apportera néanmoins un jambon que l’on a pu dissimuler avant la réquisition. 

                Comment arrives-tu à tenir le commerce ? Comment se passe la grossesse avec le travail ? Je suis navrée que tu ne puisses pas manger à ta faim pour toi et le bébé. 

                Je suis heureuse de savoir que Stephan n’est pas sur le front et qu’il occupe plus un poste logistique, je n’aimerai pas savoir mes frères face à lui. C’est bien qu’il ait des permissions surtout dans ton état. 

                C’est pratique que tu ne sois pas seule la semaine, ça doit te faire bizarre de retourner vivre là où tu as grandi. Ça me réjouit de te savoir avec tes proches dans tout ce chaos. 

                Embrasse bien Suzelle pour moi, c’est vrai que l’on a fait les quatre cents coups toutes les trois avant qu’elle n’ait d’autres amis. J’en garde d’excellents souvenirs. 

                Je suis désolée pour Ada, je ne sais pas trop mais en Allemagne, il a déjà un petit moment que l’on ne peut plus faire d’extras car la situation économique était très délicate déjà bien avant la guerre. Donc peut-être que ça n’a rien à voir avec elle ou sa religion. D’ailleurs je ne savais pas qu’Ada était juive et oui c’est vrai chacun devrait pouvoir avoir le droit de croire en son dieu. 

                Maintenant, que je repense à ça, c’est vrai que je me rappelle que des soldats sont venus pour savoir si on était juif et si on en connaissait. Vu que l’on a répondu non, ils sont partis mais on ne sait pas pourquoi ils nous ont posé la question. 

                J’ai été très émue de savoir Ada en train de pleurer pour mon piano. Je serai tellement heureuse qu’elle puisse m’aider à en trouver un autre. Mais, dis-lui que pour l’instant, il m’arrive parfois d’aller à l’église pour jouer de l’orgue. C’est sûr, que le son n’est pas du tout aussi mélodieux que le piano mais ça me fait du bien de jouer un peu.  

                Par chance, nous n’avons pas eu un hiver très enneigé mais il a fait vraiment très froid. Est-ce que les ventes de vêtements chauds s’en sont ressenties ? En tout cas, je te souhaite que votre boutique prospère. 

                Passe le bonjour à Stefan, Ada, ton papa et Suzelle. Je vous embrasse très très fort. Donne-moi bien des nouvelles de tout le monde. 

                Tu me manques, j’ai hâte de pouvoir te serrer dans mes bras….. Prends bien soin de toi ma petite choucroute adorée. 

               A très vite…. Je t’aime 

                                                                              Ta petite Bretzel  

Des deux rives – e03

Le 10 janvier 1940                                                                                             à Strasbourg     

                                                           Ma petite Bretzel chérie,  

Ma réponse tarde à te parvenir, ce qui me permet de te présenter mes Vœux les Meilleurs pour cette nouvelle année ! 1940 ! Déjà !!! Espérons de tout cœur la fin de cette maudite guerre et nos heureuses retrouvailles.  

Willi a eu une grosse frayeur lors de son retour en France la dernière fois. Les patrouilles étaient plus nombreuses et accompagnées de bergers allemands. Il a passé deux jours cachés dans la forêt. Si ses yeux lui font défauts (ce qui lui donne ce drôle d’air), il compense par ses oreilles m’a-t-il avoué. Il se révèle un garçon d’une gentillesse incroyable. Il m’a offert des tickets de rationnement en même temps que me porter ta lettre qui m’a réchauffé le cœur.  

Merci,merci !  

Que j’aime te lire ! Que je suis rassurée en vous imaginant tous ensemble (même affamés, j’en suis navrée) travaillant à la ferme.  

Hans a déjà 7ans !!!!!! Quel grand garçon formidable, il me manque tellement, il a dû changer ces derniers mois.  

Dis-lui que sa marraine pense énormément à lui. Nous irons pique-niquer ensemble au bord du Rhin ou de la Kinzig dès que les beaux jours reviendront.  

J’ai confié un bonnet à Willy pour Hans, des gants de laine pour toi et une écharpe bien chaude, pour soulager les cervicales de ton papa. J’ai tous les habits qu’il faut avec la boutique. Je m’habille comme un oignon, j’empile les couches de vêtements les unes sur les autres… il fait si froid dehors. 

Question nourriture, je prie pour vous soyez quand même mieux lotis que nous ici, à Strasbourg, la faim est omniprésente. 

Les tickets de rationnements sont rares. Nous mangeons très peu. A chaque bouchée, je pense fort à mon bébé qui grandit et espère que cette petite quantité lui suffira.  

Stefan travaille comme intendant pour l’armée française dans les Ardennes, il compte, prévoit, gère les stocks (de Guerre). Il rentre un weekend sur deux environ. Il évite systématiquement les questions sur son travail car « trop de vagues à l’âme » se justifie-t-il….  

La semaine, j’aménage chez Papa et Ada. Ma sœur Suzelle est là aussi. C’est petit mais on se tient chaud. Avec Suzelle nous partageons la couche dans la salle commune. Je colle mes pieds gelés contre ses mollets, elle râle, je ris. Elle pose sa main sur mon ventre et parle à la « petite mirabelle ». J’aime ces moments-là.  

Papa voit régulièrement Willi, avec qui il s’enferme dans sa chambre- bureau pour parler au calme explique-t-il. Son air contrarié ne me rassure pas et m’intrigue au plus haut point. 

Il parait très soucieux ces dernières semaines. Je pense que c’est à cause d’Ada. Beaucoup de ses élèves suspendent leurs leçons de piano, faute de moyens disent-ils. Papa pense que c’est parce qu’elle est juive. 

Te rends-tu compte ? Juive, catholique, musulmane… peu importe, elle est comme ma maman depuis toutes ces années. Cela me rend si triste.  

Ada a pleuré quand je lui ai raconté pour la vente de ton piano. Elle dit que tu es la meilleure élève qu’elle n’ait jamais eu. Elle t’aidera à en retrouver un (bien mieux encore) une fois la guerre derrière nous.   

Avez-vous toujours beaucoup de travail avec cette neige qui recouvre les champs ? Hans continu-t-il à aller à l’école tous les jours ? Je sais qu’il aime tant y aller. Je suis si soulagée de savoir Klaus à vos côtés.  

Si tu as besoin de quoi que ça soit, tu peux compter sur moi. Envoie-moi de vos nouvelles et embrasse toute ta petite tribu. ( Willi passera rechercher ta lettre) 

                                                 Je t’aime si fort.   

                                                                                                                       Bertille

Ps : Je m’évade souvent, la tête dans nos rires et nos promenades. Prend soin de toi Ma Bretzel !  

Des deux rives – e02

Sundheim, le 8 décembre 1939 

                Bertille, ma très chère amie,  

                Ma surprise fût très grande lorsque j’ai aperçu le petit Willi frappant à ma fenêtre, ma joie fût immense quand il m’a remis une lettre de ta part. Il a mis deux jours pour me faire parvenir ce pli en déjouant les nombreuses patrouilles à la frontière. Il m’a dit qu’il repasserait une heure plus tard pour récupérer la réponse.  

Je ne pensais plus avoir de tes nouvelles pendant ce conflit et à te lire je n’ai pas été aussi heureuse depuis plusieurs semaines. Même si la situation que nous vivons actuellement est très difficile avec la guerre et le froid qui s’installe, tu m’as réchauffé le cœur avec la bonne nouvelle. Depuis le temps, que vous attendiez un enfant avec Stefan. 

J’espère néanmoins que tu arriveras à tenir le commerce pendant ta grossesse et que la guerre prendra fin avant l’arrivée du bébé. J’aimerai tant pouvoir participer à la vie de ce petit ou de cette petite et de le/la voir grandir. 

                Nos longues discussions et nos promenades me manquent. Il m’arrive parfois de rêver que mon pays et le tien ne sont pas en désaccord et que toutes les deux nous ne sommes pas séparées par des barrages.  

                Je me porte plutôt bien au vu des événements, au village l’armée réquisitionne pratiquement toute notre production de céréales. Nous avons du mal à nous nourrir convenablement. J’ai été dans l’obligation de vendre mon piano pour payer nos taxes qui ne cessent d’augmenter. Hans vient d’avoir 7 ans, et oui déjà. Nous n’avons pas pu lui offrir de cadeau, c’est un garçon très gentil, même s’il a été très déçu, il a fait preuve d’une très grande maturité pour son âge. Klaus se rapproche de la trentaine, il n’intéresse plus l’armée pour le combat, elle le voit plus utile dans les champs pour fournir la nourriture de tous ces pauvres soldats qui sont obligés de se battre.  

                Ma famille se porte bien, malgré les douleurs chroniques de papa avec le travail de la terre. La vie à la ferme est difficile mais d’être tous réunis et travailler ensemble, nous réconforte. Nous savons que nos proches sont sains et saufs. Hopla est toujours là pour veiller sur chacun d’entre nous. J’embrasserai tout le monde pour toi. 

                J’aimerai également que tu me donnes des nouvelles de ta famille, qui est un peu la mienne aussi d’ailleurs. Embrasse-les fort pour moi, surtout Stefan, je lui souhaite de te revenir très vite.  

                Prends bien soin de toi ma petite choucroute, je t’aime très fort Bertille. 

                J’espère pourvoir te lire très prochainement, toi aussi tu me manques affreusement. 

                                                                              Ta petite Bretzel 

Des deux rives – e01

Le 6 décembre 1939 à Strasbourg

Ma très chère Amie,  

           Je prie le ciel pour que cette lettre te parvienne. J’ai sommé le petit Willi Meyer de faire notre messager. Il passe parfois en douce la frontière pour je ne sais quelles affaires. Il est un peu simplet et n’éveillera pas les soupçons. Je pense que nous pouvons lui faire confiance. De toute façon, nous n’avons pas le choix, le courrier ne passe plus entre la France et l’Allemagne. 

Depuis l’annonce de cette maudite guerre, je ne dors plus. L’ambiance à Strasbourg est si morose. Nous nous terrons dans nos maisons le plus possible. En plus il fait froid ces jours-ci, la neige devrait bientôt arriver.

Stefan va surement devoir fermer la boutique et rejoindre l’armée française, à moins que je ne puisse tenir le commerce. Cela est moins sûr… Ma petite Bretzel chérie, je ne l’ai encore dit à personne… mais je pense que je suis enceinte. Mon cœur s’illumine à cette pensée et me force à garder espoir.  

J’aurai tellement aimé te voir, papoter avec toi de vive voix tout en partageant un bon schaps et de l’apfelstrudel de Oma Hilda.  

Comment vas-tu ? Quelle est la situation dans ton village ? Peux-tu poursuivre le piano ? Ton cher et tendre est-il enrôlé dans les rangs allemands ? Voici ma plus grande crainte, que nos maris s’opposent sur le champ de bataille.  

Je pense également très fort à tes parents et tes frères et sœurs, sans oublier le brave Hopla, ton fidèle quatre pattes de Bonheur. Donne-moi de vos nouvelles et embrasse bien fort chaque membre de ta famille qui, dans mon cœur est comme la mienne.  

Prend soin de toi ma précieuse amie,  

Tu me manques terriblement.                                          

                                                                                       Ta Bertille, 

Des deux rives – introduction

Voici un échange épistolaire très fort en émotion et pourtant il a faillit ne jamais voir le jour.
Suite à un désistement, nous avons failli l’abandonné et finalement une volontaire de dernière minute, Séverine (Impropotames), a tenté l’aventure pour répondre à la première lettre initiée par Marie (Nimprotekoa).

Et le résultat est magistral, bourré d’émotions et d’humanité. Pourtant le sujet n’était pas facile: échanges entre deux amies lors de la seconde guerre mondiale, l’une est allemande, l’autre française.

Il leur a fallu beaucoup de cran pour mener à bout cette aventure en 12 épisodes.. Un travail magnifique …

Le prochain échange nous plongera quand à lui des le Londres Victorien…

Mais pour le moment: instant émotions…

Enjoy

A kind of magic – e10 – The end

26 aout 1987,

Bertille,

Cela fait quelques jours que je réalise ce qui m’ait arrivé.  J’ai lu les articles,  cela fait bizarre de réaliser qu’ils parlent de moi. Surtout qu’ils enjolivent un tantinet la vérité pour certains…
Même si j’ai eu très très peur j’ai l’impression d’être une star comme Harry ! D’ailleurs tu as vu qu’il a une nouvelle copine ?!
Qui sait parfois je me prends à rêver que quelqu’un veuille écrire un lire sur mon aventure ! Qui sait d’ailleurs on pourrait le faire ensemble !! T’imagines…  
Bon je redescends sur terre,  on peut se dire 15h devant le magasin « balais En folie »?


Hâte de te voir !


Penelope