Les brouillards de Londres – e10

Très cher Gordon, 

Une lettre d’aveux est toujours terrible à écrire, mais je m’aperçois qu’elle ne l’est jamais autant que lorsqu’elle est destinée à une personne aussi intègre et respectable que vous.  

La bonne nouvelle, c’est que le meurtrier de Lord Mortimer a été arrêté. Salazar Sora est un homme d’une froideur sans égal et son seul regard suffit à vous statufier sur-le-champ. Avec l’aide du très connu Leonardo Canal, chef militaire redoutable, il mène effectivement une guerre sans merci en Colombie dans l’intention de renverser le pouvoir en place. L’inspecteur Sherzey a largement sous-évalué la dangerosité de ce personnage lorsqu’il a décidé de se faire le témoin passif de ses agissements, et même de lui faciliter la tâche depuis les coulisses…

Oui, Gordon. Comme vous l’avez parfaitement supposé dans votre précédente lettre, les enjeux géopolitiques et économiques de cette guerre civile colombienne sont tels que nos plus hauts référents y sont fatalement impliqués. 

C’est la raison pour laquelle l’inspecteur principal Sherzey gardait un œil très conciliant sur le trafic de Salazar et ces départs récurrents de cargos chargés d’armes depuis le Port de Grimsby.

En tout cas, jusqu’à ce que cette affaire dérape. 

Tout a commencé avec le meurtre de Lord Mathew Mortimer. Le 18 novembre dernier, Sherzey a compris que la situation lui échappait totalement et que Salazar Sora devenait hors de contrôle. Il avait besoin de faire arrêter Salazar coûte que coûte avant qu’il ne commette d’autres assassinats, tout en s’assurant que sa participation indirecte à la vente d’armes anglaises ne soit pas révélée au grand jour. Vous comprenez, nous combattons contre un ennemi infiniment plus puissant qu’un guerrier colombien : le pouvoir de la couronne d’Angleterre. 

Sherzey se trouvait face à un exercice éminemment périlleux et délicat : d’un côté, il devait garder la confiance de Salazar, et de l’autre, s’associer aux meilleurs enquêteurs pour le coincer.  

Evidemment, il a immédiatement pensé à vous : Gordon Smith.

Mais en vous mettant sur l’affaire, Sherzey savait qu’il ne serait qu’une question de temps avant que vous ne vous lanciez sur la piste d’un informateur à Scotland Yard… Votre réputation vous précède, dans la police. Il lui fallait donc s’assurer de ne pas être démasqué, afin de pouvoir mettre la main sur Salazar rapidement et avec efficacité.

Alors, il est venu me trouver. Evidemment, j’étais une alliée de choix : fille d’un haut-commissaire britannique, sœur d’un grand idiot qui s’est trouvé l’objet des velléités sanguinaires de Salazar. Le contrat était simple : je devais vous aider à trouver celui qui menaçait mon frère et auteur du meurtre de Lord Mortimer, tout en retardant vos soupçons à l’égard d’un quelconque informateur. 

Je n’ai pas pu refuser. Je suis désolée, Gordon. Il fallait que vous gardiez toute confiance en Sherzey, et que Salazar Sora le croie son allié.  

En revanche, Sherzey s’est habilement gardé de me parler du projet d’armement. En un sens, il s’est aussi joué de moi.  

Croyez-moi, Gordon. J’ignorais tout du reste… Les armes, le projet funeste, l’implication de la couronne… J’ai tout découvert en même temps que vous. Seulement, quand j’ai compris quel était le véritable enjeu de cette mission secrète, d’ampleur politique, je ne pouvais rien dire.  

J’espère que vous saurez me pardonner.

Vous aurez sans doute remarqué que mes lettres ne comportent plus d’erreurs de frappe. Non pas que j’aie changé de machine à écrire. J’ai fait plus. J’ai préféré quitter l’Angleterre pour rejoindre mon frère sur le continent, où nous avons décidé de reprendre le cours de nos vies en restant cachés quelques temps.

Quant au collier par lequel tout a commencé, son histoire prend fin à mes côtés. Je le considère comme une rétribution en échange de ce jeu affreux auquel nous avons été contraints de participer. Il sera pour mon frère l’opportunité de bénéficier d’une seconde chance pour panser les morsures de sa vie.

Ainsi s’achève notre mission, Gordon.

Puissiez-vous vous réjouir de savoir que Salazar Sora est enfin arrêté et hors de nuire.  

Pour le reste, mon ami, c’est une affaire qui nous dépasse… Voici comment l’opulence d’une société profite à la destruction aux dépens de ceux qui la financent… Ou comment le bonheur des uns irrigue le malheur des autres.

Souhaitons que dans l’avenir l’humanité s’élève contre la barbarie sous toutes ses formes, et que chacun puisse trouver en son cœur la force d’être bon.

Je dois vous quitter, mon gâteau à la carotte est prêt. Les doux effluves de son parfum caressent déjà mes papilles avec finesse, à l’instar des premiers rayons de soleil sur les feuilles d’un arbre.

Adieu, mon cher ami, et merci pour cette aventure.

Elena.

Les brouillards de Londres – e09

Grimsby 4 janvier 1878

Miss May.

Je suis actuellement au Port de Grimsby. Après votre dernière lettre, j’ai remonté la piste colombienne. En interrogeant notre dernier prisonnier sur le sujet, nous avons appris que des courriers étaient régulièrement envoyés vers le Port de Grimsby.

Je m’y suis rendu. Je suis tout de suite allé à la capitainerie pour lister l’ensemble des cargos en provenance ou en partance pour la Colombie. Par chance un cargo s’apprêtait à quitter le port. Avec l’autorisation du commissaire Brandley ainsi qu’avec l’assistance du service des douanes le navire à été arraisonné.

Ce que nous y avons découvert été des plus surprenants. Une cargaison entière de fusils et d’arme de guerre en tout genre. Tout ceci habilement caché dans une cargaison de laine et de pièce de mécanique. Nous avons interrogé le capitaine et l’ensemble de l’équipage. Les armes étaient destinées à la guerre civile colombienne et plus exactement pour équiper les troupes du général Léonardo canal, un des chefs de l’opposition au gouvernement colombien. S. Volaient des bijoux à la noblesse britannique pour financer la guerre civile colombienne tout en prenant sa part au passage.

Mais coup de théâtre, lors de notre interrogatoire nous avons reçu la visite d’un attaché au ministère des armées et de la police. Ses ordres étaient clairs. Il fallait libérer tout le monde et faire comme si nous n’avions rien vu. Nous avons parlementé et il m’informa à demi mots que la couronne soutenait officieusement la révolution colombienne pour ses intérêts géopolitiques. De plus, l’industrie de l’armement britannique ne pouvait pas se permettre d’annuler de tels contrats. J’ai parlé de S et des vols de bijoux parmi la noblesse. Même si j’ai reçu l’ordre d’arrêter S pour stopper les vols, en aucune manière je ne devais interrompre l’envoi d’arme vers la Colombie.

Malgré tout j’ai réussi à obtenir un délai afin de terminer l’interrogatoire, car je devais découvrir un autre secret. Un secret qui vous concerne personnellement Miss May. Dans une cabine un marin avait une lettre en espagnol dont l’écriture ne m’était pas inconnue. Celle de S . Je ne maîtrise pas l’espagnol, mais il fut facile de reconnaître le nom de Robin May. Après traduction auprès d’un interprète de la police. Cette lettre demandait à son destinataire d’assassiner votre frère, celui-ci devait se trouver dans une petite ferme dans le sud du pays. Près d’un petit village nommé Clayton à quelques miles au nord de Brighton. J’ai donc interrogé l’homme qui ne fut pas très docile. Au final j’ai appris qu’il avait été sur place, mais que votre frère avait déjà pris la fuite. Il aurait embarqué pour le continent dernièrement. J’ai envoyé un télégramme à la capitainerie de Brighton. J’ai demandé qu’il vous envoie également la réponse.

Au petit matin, l’équipage fut libéré et le cargo a quitté le port sous l’oeil satisfait de l’attaché ministériel. En vous écrivant cette lettre, et en voue révélant les faits, j’enfreins un ordre direct du ministère, mais je ne suis plus à ça prêt tant cette affaire dépasse toutes les règles jusqu’au sommet de l’état.

Vous aviez raison, c’est un sinistre projet pour l‘année 1878. Notre nation soutient une guerre.

Mais pour en revenir à ce qui notre affaire de collier.

J’ai eu également la nouvelle concernant le décès de Henry Brown. Ceci confirme une fois de plus Traitrise au sein de Scotland Yard.

J’ai d’ailleurs trouvé un moyen efficace de trouver la taupe au sein de Scotland Yard. Il n’y a que trois personnes qui auraient été capables d’informé S de mes agissements ainsi que de suivre nos lettres.

John Stevensen le responsable des communications de Scotland Yard, qui sait qui va ou et quand en temps réel.

Edwin Maxwell l’adjudant en chef qui connaît parfaitement la maison et les agissements de chacun, car il gère les plannings des agents et les ressources allouées à chacun . C’est le plus ancien sous-officier de Scotland Yard il a des connaissances dans les milieux de la pègre et avec les années il a du franchir la ligne plusieurs fois sans que cela ne lui soit jamais reproché au vu de ses états de services.

Et enfin l’inspecteur principal Sherzey lui-même. Cette idée me semble incongrue voir stupide, mais il faut avouer qu’il fait partie des suspects potentiels, car il il savait ou j’allais, il avait des copies de mes rapports et est largement en mesure de faire espionner telle ou telle personne. Cependant je refuse de croire qu’une personne si haut placée et avec un professionnalisme sans faille puisse être impliquée dans cette affaire. Mais mon honnêteté intellectuelle m’oblige à n’écarter aucune piste.

Je vais donc envoyer trois informations différentes à ces trois personnes. Je les informerais que vous avez caché le collier de Lady Mortimer dans un endroit secret afin que S. ne le retrouve pas. Mais chacun aura une information différente.

Ceci pour plusieurs raisons. Premièrement cela évitera que S s’en prenne à vous ou à lady Mortimer. Notre homme étant dans la nature et son objectif étant de récupérer ce collier il est fort probable qu’il entreprenne des actions malveillantes à votre égard pour récupérer ce qu’il pense être son dû.

Ensuite cela permettra de trouver la taupe.

À Stevensen je ferais parvenir un télégramme à un agent de confiance expliquant que le collier se trouve dans la consigne numéro 24 à la gare de London Victoria. L’agent de service des consignes est une personne qui me doit un service il m’informera si quelqu’un souhaite ouvrir cette consigne ou si elle a été forcée.

À Maxwell je ferais passer l’information via mon cousin Edward, jeune recrue du service qui travaille avec lui. Il lui apprendra,  » par mégarde « , que j’ai laissé le collier dans la consigne numéro 35.

Quant à notre inspecteur principal, j’informerais Mr Etelby, l’un de ces informateurs officieux qu’il utilise régulièrement pour des affaires sensibles. Cet informateur ne communique qu’avec l’inspecteur principal. Sherzy pense que je ne suis pas au courant de ce… contact . Mais il n’en est rien. Pour ce faire je vais demandé à Tonio, un de mes informateurs italiens des docks de surveiller la consigne 71. Tonio étant de mèche avec Etelby et ayant la langue bien pendue, il parlera contre une petite somme d’argent. L’information remontra jusqu’à Sherzey. Si ce dernier est intègre, il sait qu’il peut me faire confiance et laissera ce qu’il croit être le collier dans la consigne en attendant que je rentre. Il mettra peut être un agent en civil pour la surveiller rien de plus. Par contre s’il travaille avec S. Il ira lui-même récupérer le collier et l’apportera à S.

Je ne serais pas rentré à temps pour finaliser mon plan c’est donc à vous, seule personne capable et digne de confiance sur place, de terminer une bonne fois pour toutes cette affaire. Parler au sergent Emerson. Il est digne de confiance et il pourra vous assister et se porter garant de votre sécurité. Il a avec lui quelques agents de police de confiance qui pourront également vous aider.

Ainsi une fois que le traître sera identifié, il suffira de la suivre et ainsi trouver le lieu où se cache S.

Je sais que cela est beaucoup vous demander, mais je sais aussi qu’une fois S arrêté votre frère sera en sécurité. Au vu de l’aide que vous m’avez apportée, je suis prêt à fermer les yeux sur ses infractions et lui laisser une chance. Après tout j’ai laissé partir un navire chargé d’arme et d’assassins…

J’espère que la nouvelle année commencera mieux que ne s’est terminé 1877.

Merci pour tout

Gordon

Les brouillards de Londres – e08

Londres, Angleterre, 25 décembre 1877 

Cher Gordon, 

Je me fais une joi_ de vous savoir en vie, et un sang d’encre d’imaginer notre meurtrier courant les rues de notre pays.  

Vous avez probablement eu vent de la nouvelle… Henry Brown a été retrouvé mort, la nuque brisée. Le coup a été porté par derrière, sans qu’il n’ait eu sans doute le temps de le voir venir, d’autant qu’il était passablement alcoolisé. La police de Scotland Yard n’a trouvé aucune trac_ de lutte, ce qui atteste qu’Henry Brown connaissait son agresseur et ne s’en est pas méfié. Il semblerait qu’il ait été assis devant son éternel grand verre de whisky et que son agresseur se soit installé un temps face à lui. Pour discuter, peut-être. Mais de quoi… ? 

On suppose que pendant la conversation, l’attaquant s’est levé et a contourné le pauvre Henry dont l’état d’ébriété devait commencer à lui faire oublier jusqu’à son nom, du moins à abandonn_r toute vigilance, si tant est qu’il eût pu un jour en faire preuve. Là, le meurtrier s’est emparé d’un chandelier qui devait reposer sur le meuble auquel Henry Brown tournait le dos. La force de frappe fut sans appel. Henry est mort sur le coup. 

C’est un_ bien triste fin pour ce malheureux bougre. 

En tout cas, retrouver S. est plus que jamais d’une urgence absolue, surtout que ce n’est qu’une question de temps avant qu’il ne s’aperçoive que le collier déposé à Hyde Park n’est pas celui que j’étais censée lui remettre. Qu’en dites-vous, Gordon ?! C’est une supercherie tout à fait parfaite, laiss_z-moi vous l’expliquer brièvement.  

Comme je vous le disais dans un précédent courrier, j’ai convié Lady Victoria Lamb à un dîner afin que nous puissions échanger au sujet de ces Grands Buffets organisés par L’inégalable Dame Fitzgerald.  

Ce moulin à parol_s qu’est Victoria Lamb n’a pu s’empêcher d’ouvrir la discussion avec une quantité invraisemblable de sujets divers qui ne se rapprochaient en rien des Grands Buffets trimestriels. Au terme de près d’une heure de monologue sur ses conquêt_s amoureuses, que j’ai subi péniblement, j’étais sur le point de l’interrompre enfin quand elle s’est mise à parler, avec toute la condescendance dont elle est farcie, d’un homm_ de famille modeste qui s’en est épris. Il lui contait des poèmes sans saveur et la couvrait de bijoux sans valeur. « Il disait que leur val_ur était celle de son amour pour moi, et qu’il y gravait ses initiales comme mon nom s’était inscrit sur son cœur », ironisait-elle avec dédain. L’homme en question, Gordon, se nomme Jack Low… Cela vous évoque-t-il quelque chose ? Exact ! Les initiales J-L, comme John Lampfert ! 

Inutile de préciser que je ne l’ai pas priée longtemps pour obtenir un collier de perles avec cette gravure. Elle en a sorti un de son sac et me l’a jeté sur la table comme on lance une pièce de viande avariée à un chien errant. Autant vous dire qu’il ne lui sera d’aucun manqu_ ! Par contre, à nous, il nous aura permis de gagner du temps… Car c’est ce très modeste bijou que j’ai placé dans la poubelle de Hyd_ Park.  

Il nous faut mettre la main sur S. au plus vite. D’abord parce qu’il va tôt ou tard flairer la supercherie, ensuite parce que nous avons un projet lugubre à faire avorter…  

C’est en _ffet le deuxième élément d’enquête que je souhaitais vous présenter : lorsque j’ai enfin pu aborder le sujet qui m’intéressait auprès de Lady Lamb, elle m’a révélé des choses de toute importance.  

Evidemment, Mortimer est arrivé en retard cette nuit du 13 au 14 novembre, ce qui confirme l’hypothèse selon laquell_ il était occupé à dérober le bijou chez Lord Huntington. Mais en plus, il s’est montré pour la première fois désintéressé du jeu du Pompkin qui est une activité très prisée des soirées mondaines où l’alcool coule à flots. Il s’agit d’un jeu de cartes consistant à tromper l’adversaire par des coups de bluff. D’après Victoria Lamb, la p_rformance de Lord Mortimer était remarquable et depuis trois ans il proposait des paris à ceux et celles qui pensaient pouvoir le défier. Il pariait des bijoux de grande valeur… Que ses adversaires perdaient évidemment au jeu, les uns après les autres.  

Voici pourquoi, mon cher ami, nous n’avons jamais eu d_ déclarations de vol dans la haute société. Dans ce monde d’orgueil et d’abondance, tous et toutes pariaient régulièrement leurs plus beaux atours dans l’arrogante certitude qu’ils pouvaient détrôner Mortimer au jeu du Pompkin. Mortimer, lui, surfait habilement sur cette maladie incurable propre aux grands bourgeois qu’est l’insatisfaction chronique de leurs désirs. 

Nous avons donc la confirmation éclatante que c’est Lord Mortimer qui gagnait les bijoux et devait les remettre à S. Il était une cibl_ de choix car il fréquentait les personnalités parmi les plus riches du pays et avait tout intérêt, comme vous l’avez découvert, à ce que son passé reste secr_t.  


Et enfin, Victoria Lamb m’a rapporté que l’année dernière à la même époque, Lord Huntington avait surpris une conversation étrange entre son ami Mortimer et un homme qu’il n’avait par ailleurs encore jamais vu lors des Grands Buff_ts précédents. C’était une soirée masquée où n’importe qui d’un peu audacieux aurait pu s’infiltrer. Comme à son habitude, Huntington s’était envoyé les trois-quarts du buffet et se retrouvait franchement plein. Il a tangué vers une large pièce jouxtant le salon principal, et a trébuché contre une grande malle dans laquelle il est tombé. Vous l’ignor_z sans doute, mais notre ami est connu pour son exceptionnelle petite taille. Ce qui, soit-dit-en passant, est préférable au vu de ce qu’il pourrait engloutir de plus s’il lui fallait nourrir un corps comme celui de feu Henry Brown. Bref. Huntington chute donc dans cette malle qui se ref_rme sur lui. Là, il s’endort, repu. Quelques temps après, il entend une conversation qui l’extirpe de son sommeil : d’après ce qu’en a r_tenu Lady Lamb à qui il s’est confié par la suite, Mortimer s’entretenait avec un homme à l’accent nettement colombien dont les paroles lui prêtaient une connaissance aigue des questions… d’armement. Oui, Gordon, d’armement.

Voici donc ce que j_ pense à présent : en novembre dernier, après trois ans de larcins détournés, S. avait désormais acquis ce qu’il lui fallait et il a exécuté Mortimer en pensant récupérer autrement le dernier collier. En l’espace de quelques années, dans la plus grande discrétion, notre meurtrier a amassé une somme suffisante pour mettre en action un plan machiavéliqu_ visant peut-être à financer un projet militaire inspiré du génie des mercenair_s colombiens dont il fait indéniablement partie.   

Et cette discrétion, comme vous le soupçonniez, n’a pu lui être garantie que par un complice à Scotland Yard… Malheureusement, je n’ai à ce jour aucune piste fiable et j’espère que vous m’aiderez à élucider cette partie de notre affaire. 

En somme, mon ami, un sinistre proj_t se prépare pour cette année 1878 et nous n’avons que peu de temps pour l’arrêter. 

En dépit du caractère sombre et inquiétant de ce nouveau courrier, permettez-moi cher Gordon de vous souhaiter un agréable Noël. 

El_na.

Les brouillards de Londres – e07

Harrow, Angleterre, 19 décembre 1877

Miss May

Je vous écris rapidement, car le temps presse. L’instant est grave. Une d’ampleur nationale est à l’œuvre dans notre pays.

Avant de vous expliquer plus avant je tiens à vous remercier d’avoir mis sur ma piste Johnson, Gary, et Macburney afin d’assurer ma protection. Je salue votre intuition concernant cette affaire. 

Je fus agressé et assommé  un soir en rentrant à mon hôtel. Ils étaient nombreux et je n’ai rien pu faire. Mes trois protecteurs n’ont pas eu le temps d’intervenir.  Étant dans l’inconscience je n’ai même pas pu retenir des détails sonores quant au trajet qui me menait vers ma prison.

Une fois réveillé je me retrouvais assis sur une chaise avec une cagoule sur la tête. Un bruit de machine que je ne pus identifier au départ se faisait entendre en permanence. Je pensais être détenu dans une usine ou quelque établissement similaire. Mais mon hôte ne me laissa pas le temps de réfléchir plus avant.

Je reçus quelque coup de pied dans le ventre histoire de me réveiller et d’attirer mon attention.

Puis une discussion avec Monsieur S. est venue discuter poliment avec moi. Ses phrases étaient colorées d’un fin accent hispanique. Ce qui confirma la description que vous me fîtes dans une de votre précédente lettre. Je ne put toutefois confirmer le descriptif de ses traits, car la cagoule resta sur ma tête lors de chacune de nos discussions.

Il ne posa aucune question à vrai dire, ou du moins il ne posa aucune question dont il n’avait pas déjà la réponse. 

Il m’expliqua son intérêt pour lui de m’avoir fait enlevé. Il savait qu’il prenait des risques à intenter à la vie d’un inspecteur de police, mais il affirma mainte fois qu’il y était obligé. J’ai rapidement compris que sa motivation pour récupérer le collier est sans faille. 

Malgré les comportements brutaux de ses sbires, je ne fus jamais molesté plus que de raison. Ils m’ont nourri sans jamais me détacher. Ils prenaient bien soin de ne jamais enlever leur masque sur leur visage à chaque fois qu’ils m’ôtaient leur cagoule. Des masques vénitiens de grande qualité qui juraient avec leur vêtement de mauvais bougre des bas fonds. 

Au final durant les quelques jours de captivité je ne pus déceler aucune information intéressante. Et bien que ma vie était en danger, je priais le ciel pour que vous ne cédiez pas aux pressions de ce malfaiteur.  

Et c’est durant la nuit dernière que mes trois anges gardiens intervinrent. Ce fut rapide, car seuls deux acolytes restaient sur place durant la nuit. Ils furent rapidement arrêtés et maîtrisés. Je fus libéré. Après être sortie de la cave où mes geôliers m’avaient enfermé, je compris rapidement où j’étais. 

Le lieu de ma captivité est une vieille usine de conserves encore en activité. Usine qui appartenait à… feu Lord Mortimer. 

Les malfrats avaient simplement profité des accointances avec la première victime pour installer leur repaire dans cette vieille usine.

l’usine était encore en fonction et les machines produisaient encore des conserves. Une belle couverture pour des quartiers généraux de truands. 

En interrogeant l’un des hommes de S. j’appris rapidement que vous deviez déposer le collier dans une poubelle à Hyde Park. Mais malgré le télégramme envoyé en vitesse à Scotland Yard, les agents arrivèrent trop tard pour arrêter S.  qui a disparu depuis.

Selon le Eduardo, l’acolyte que j’ai pu interroger révéla que S. organisait des vols de bijoux parmi les nobles afin de faire beaucoup d’argent. L’argent servira un grand projet dont Eduardo ignorait la nature. La Noblesse anglaise se fait donc dépouiller de ses richesses pour financer un obscur projet dont même les participants en ignorent la nature. Cela va donc plus loin qu’une simple volonté d’enrichissement personnel. 

Nous avons souhaité tendre un piège à S. en attendant son retour à l’usine de conserve, mais personne ne vint. Il a sûrement été informé de mon télégramme. Il y a peut-être une taupe au sein de Scotland Yard, ce qui expliquerait pourquoi il y a toujours un coup d’avance sur nous.

Eduardo confirma la trahison de Lord Mortimer. S. a en sa possession des documents compromettants sur le passé de Lord Mortimer. Il l’obligea donc à organiser le vol du collier de diamants. Mais Lord Mortimer prit du retard dans la restitution du collier. Nous savons tous les deux pourquoi. S; donna rendez-vous à Mortimer qui, désireux de s’expliquer et de donner de l’argent en échange du collier, se rendit sur les quais en pleine nuit. Là, trois assassins l’attendaient dont Eduardo qui avoua rapidement en échange d’un allègement de peine.  Le meurtre fut rapide et une casquette fut ajoutée dans la main de la victime pour faire croire à une agression de la part d’Henry. Les trois assassins devaient attendre Henry, voler sa casquette et le pousser à l’eau pour enfin appeler la police. Ce qui aurait fait de lui l’assassin désigné. Tout le monde aurait cru qu’il serait tombé à l’eau en agressant Lord Mortimer et la casquette dans la main aurait eu tôt fait de l’inculper. Mais voilà, Henry n’est pas venu et la casquette choisie était trop petite. Un témoin vit le corps de Lord Mortimer flotter et la police arrivant rapidement. Vous connaissez la suite.

Afin de confronter les dires d’Eduardo, j’ai vérifié dans la presse les histoires de vols de bijoux. Mais peu de cas ont été reportés. Je suppose que l’aristocratie britannique n’affiche au grand public l’ensemble des vols dont ils sont victimes. La notoriété d’un Lord serait mise à mal si on apprenait qu’il s’était fait dépouiller. Je ne peux malheureusement me rendre à Scotland Yard pour vérifier les plaintes dans les Dossiers. Avez-vous eu vent de rumeurs de vol de bijoux lors des soirées mondaines?

Je suis maintenant sur la piste de S. Je prends également mes précautions. J’avais sous estimé cette affaire je l’avoue. Désormais je suis toujours accompagné d’une ou deux personnes. Eduardo a révélé une autre cache dans une cave à Harrow, mais elle a rapidement été déménagée.  Des témoins affirment que ne nombreuses personnes allaient et venaient dans cette cave. 

Je n’y ai trouvé aucun indice. Le nettoyage a été fait dans les règles. 

Mais je ne m’avoue pas vaincu je vais poursuivre mon enquête et je finirai bien par trouver une.

De votre côté, vous pourriez prévenir l’ensemble de la haute société que leurs biens sont menacés. Et surtout découvrir qui est la taupe qui informe S. des Fait et geste de Scotland Yard.

Je tiens une fois de plus à vous remercier pour votre brillante et secrète initiative qui me sauva la vie.  Si vous m’en aviez parlé, ma fierté enquêteur m’aurait poussé au refus. Je dois reconnaître que vous être pleine de ressources et qu’il est bon de faire équipe avec vous.

Bien à vous,

Gordon

Les brouillards de Londres – e06

Londres, Angleterre, 15 décembre 1877 

S,  

Puisqu_ c’est ainsi que vous vous faites appeler… 

Je dois avouer que l’inspecteur Smith et moi-même nous sommes laissés devancer et il va de soi que nous avions peut-être sous-estimé quelque peu votre perfidie.  

Mais permettez-moi de vous faire savoir que vous n’êtes pas le seul à tenir un coup d’avance.  

Lorsque je me suis vu confi_r ce rôle dans l’affaire qui nous relie, l’inspecteur principal Sherzey s’est donné le temps de m’exposer la personnalité de Gordon Smith. La persévérance et la bravoure de cet homme que vous détenez dépasse de loin ce que vous pouvez imaginer de lui. Sa témérité, à la hauteur de ce que l’on m’avait décrit. 

Aussi, j’ai compris dès le départ qu’en ce caractère se trouvaient autant sa force que sa faiblesse, et que des dangers insoupçonnés le menaceraient rapidement.  

Je me suis donc assurée de sa prot_ction, sans l’en faire prévenir. D’abord, parce qu’il n’aurait pas agi naturellement. Ensuite, parce qu’il en aurait possiblement été vexé et, tel que je crois le connaître, il se serait amusé de leurrer ses protecteurs pour qu’ils se trouv_nt le bec dans l’eau.   

Les trois hommes positionnés secrètement sur cette mission sont sans doute déjà sur vos traces et chaque minute supplémentaire de détention de l’inspecteur Smith les rapproch_ davantage de vous.   

Vous trouverez le bijou à l’endroit même où vous avez exigé de moi que je vous le dépose. Il ne me fut pas facile de convaincre Lady Mortimer de me l_ céder et, là encore, vos manœuvres vous font sortir de l’ombre et exposent lamentablement vos failles. Je vous recommande de tenir votre parole et de relâcher mon partenaire vivant aussitôt que vous aurez le collier en main.  

Sachez enfin que vos manières m_ glacent le sang, et soyez convaincu que vos méfaits ne resteront pas impunis tant que justice règnera. 

Elena May 

Les brouillards de Londres – e05

Très chère Miss May

En bon gentleman, permettez-moi avant tout de vous présenter mes excuses les plus sincères. Car la lettre que vous tenez dans vos douces mains ne fut pas écrite pas votre ami Gordon. Mais bien par ma plume. Je sais que le désarroi doit être grand et l’inquiétude encore plus. Mais sachez que l’inspecteur Gordon Smith se porte comme un charme malgré les coups qu’il a reçus lors de son enlèvement.

Sachez avant tout que je déplore au plus haut point d’avoir été contraint d’agir de la sorte. Puissiez-vous me pardonner pour le désagrément que cela pourrait vous occasionner.

Il se trouve que depuis l’enfance j’ai développé un sens du danger et une capacité d’anticipation hors du commun. Bon nombre de mes pairs dans le domaine de la pègre en ont mainte fois fait les frais. C’est donc en m’intéressant à la personne qui enquêtait sur le meurtre de ce pauvre Mortimer que mon intuition s’est présentée à mon esprit comme une alerte au feu dans un quartier insalubre. J’ai consulté les états de services de l’inspecteur Gordon. Je fus fortement impressionné. Sa réputation n’est plus à faire. J’ai donc décidé de faire intercepter son courrier.

En lisant vos correspondances, j’ai constaté que votre partenariat est tout aussi original que dangereux. L’enquête avance plus vitre que prévu, car votre concours était imprévu et a permis à l’inspecteur Smith de comprendre bien trop vite certains évènements. Ceci reste pour moi, inacceptable. J’ai investi beaucoup de temps et d’argent pour parfaire ce projet qui me tient tant à coeur. Après la trahison de Mortimer et l’erreur commise en recrutant Mr Brown, je ne peux plus me permettre de prendre du retard.

Je me dois donc, Miss May, d’abandonner mes principes de gentleman en vous sommant de me remettre le collier de Lord Hutington détenu, comme vous l’avez si bien deviné, par Lady Mortimer. Je pense qu’une personne aussi intelligente et subtile que vous n’aura aucun souci à subtiliser ce chef-d’œuvre de joaillerie au nez et à la barde d’une veuve éplorée. Dans le cas où vous tarderiez à vous exécuter, ou même pire, dans le cas où vous refuseriez tout simplement. Je me permettrais de vous envoyer votre ami Gordon Smith par petit morceau dans divers courriers successifs.

Mais n’étant pas adepte des actes de barbarie je préfère vous laisser une chance de sauver votre ami sans que le sang ne coule de nouveau. Sachez toutefois que j’ai dans mes relations des personnes capables du pire. Je ne vous en décrirais pas plus, car je sais que l’imagination des femmes de bonne famille est des plus puissantes, je ne voudrais pas perturber vos sens avec de mauvaises images.

Une fois que vous aurez le collier déposez-le dans la poubelle jouxtant le banc sur lequel ce gros lourdaud de Brown a fait sa sieste au lieu d’accomplir la tâche qu’il lui a été demandé. Ceci sera au final une manière de conjurer ce mauvais sort qui semble s’acharner sur moi depuis quelques jours. N’en déplaise à vous et à votre ami, j’ai pris parti de reporter cette malchance sur vous. Mais sachez qu’une fois le collier en ma possession l’inspecteur Gordon sera libéré en bonne santé. Je vous en fais le serment sur le peu d’honneur qu’il me reste.

Cependant je ne pourrais pas en dire autant pour votre frère. Celui-ci reste introuvable et la lettre que vous avez fait parvenir à Gordon indique bien un lieu qui m’est inconnu, mais que je ne tarderais pas à découvrir. Afin de vous montrer ma bonne fois et pour vous prouver que je ne suis pas l’être barbare et sans morale que vous imaginez. Je tiens à vous faire quelques révélations sur votre très cher Robin.

Nous nous sommes rencontrés lors de son voyage en Andalousie il y a 5 ans environ. C’était un jeune aristocrate Britannique en mal d’aventure et j’étais un jeune malfrat en mal de reconnaissance. Nos routes se sont croisées dans un casino. Sans vous en communiquer les détails, je dirais que nous nous sommes associés. Lui m’enseigna l’anglais et les bonnes manières et de mon côté je lui donnais des cours de truande. Je fis fortune et lui se fit un nom. Et puis un jour sans prévenir, il quitta le pays. Et nos chemins se sont séparés. Ma colère laissa rapidement la place à l’indifférence et j’ai donc poursuivi ma carrière solo. Et au fil des aventures je me suis retrouvé à Londres. Et devinez qui j’ai contacté en arrivant dans votre belle Angleterre ?

Il m’a dit qu’il s’était rangé, mais il m’a indiqué Henry les gros Bras comme bouc émissaire potentiel. L’agresseur parfait pour un meurtre que l’on souhaite déguiser en agression.

Après enquête de ma part, j’en ai conclu que votre frère savait que cet Henry ne ferait pas son travail. Il savait qu’il ferait échouer mon plan. Il m’a sciemment trompé et pour cela, je dois me venger.

Mais en Malfaiteur honorable je me dois d’en informer la sœur de ma prochaine victime de sa mort prochaine.

Sachez que votre frère m’a mainte fois parlé de vous. Et en d’autres circonstances c’est durant un bal que nous nous serions rencontrés et nous aurions pu nous connaître et discuter lors d’une valse dans un salon mondain. Mais la vie étant parfois une piètre blagueuse nous nous retrouvons dans cette situation déplorable.

Quoi qu’il en soit, j’espère ardemment que cette lettre sera la seule et la dernière que je vous écrirais. Car bien que nous soyons ouvertement conflit sur des intérêts divergents, je dois avouer que je porte une grande admiration à votre intelligence. Et sachez que c’est une qualité pour laquelle j’ai beaucoup d’estime. C’est pour cela que je offre une solution pacifique pour votre ami l’inspecteur Smith. Son avenir est entre vos mains.

Mais si d’aventure vous souhaitiez contacter ma modeste personne. Je vous laisse porter votre lettre au tenancier d’un certain tripot que vous connaissez bien maintenant. Dites simplement au tenancier que cette lettre est destinée à S. Il saura quoi faire. Mais, un conseil, ne vous mettez pas en tête de le suivre pour tenter de me retrouver. Vous imaginez bien que je prends quelques précautions et que toute tentative de votre part de me nuire ou de me retrouver serait fatale pour ce pauvre Gordon. Mais je sais qu’une femme aussi délicieuse que vous ne saurait faire courir un danger aussi périlleux à l’un des inspecteurs les plus respectables de Scotland Yard.

Respectueusement,

S.

Les brouillards de Londres – e04

Londres, Angleterre, 7 décembre 1877 

Gordon, 

Il me faut encore du t_mps pour investiguer les pistes qui se sont révélées à nous jusqu’à ce jour. Mais si je vous écris déjà, c’est parce que j’ai reçu une lettre de mon frèr_, que je tenais absolument à vous remettre. Dieu soit loué, Robin est vivant. Il a rejoint une vieille bâtisse dans laquelle nous avons passé de nombreux étés étant jeunes, en compagnie de notre dame de maison. La bâtisse se situe à l’entrée d’une clairière où coulait un petit ruisseau dans lequel nous nous plaisions à jouer. Il y fait allusion à la fin de son courrier : un jour, un long reptile a remonté le mur de la maison jusqu’au perron où j’étais assise avec un livr_. De peur, j’ai envoyé voler l’ouvrage si haut qu’il en est passé par la fenêtre de la cuisine et a directement atterri dans la marmite où Dame Suzie préparait notre soupe. Nous en avons beaucoup ri, elle moins.  

Ainsi, dans son derni_r paragraphe, Robin me donne en fait un indice sur sa cachette.   

J’espère que cette lettre comporte quelques clés qui m’auraient échappé et qui vous aideront à avancer dans votr_ réflexion. La voici : 

Ma douce Elena, ma petite sœur, 

Je ne sais si tu sauras pardonner ma disparition et mon silence, mais je rédige cette lettre dans l’espoir que tu le puisses un jour, au nom de l’affection que tu me portes. 

Je n’ai pas cherché à m’éloigner de toi ni ai été la victime d’une agression ou d’un enlèvement. J’ai fui, Elena. 

J’ai fui devant mes incapacités à construire une société à la hauteur de ce que j’avais imaginé. 

J’ai fui les liaisons dangereuses que j’ai trop longtemps entretenues avec des malfrats en tous genres, bien que, comme tu le sais, je ne me sois jamais vraiment compromis. Je crois tout simplement que je n’ai jamais considéré avec sérieux que le risque de se brûler est grand lorsque l’on joue avec le feu. 

Jusqu’à récemment. 

J’ai fui, Elena, à l’apparition d’une main noire sur la table d’un jeu dont j’ai compris que je ne maîtrisais plus les règles.  

Au 6 septembre, j’ai reçu la visite d’un homme qui avait manifestement eu vent de mon passé de jeune délinquant. Cet homme s’est intéressé à la position toute ambivalente qui a toujours été la mienne : bien trop peu délinquant pour avoir trempé dans les affaires sordides de notre temps, mais suffisamment quand même pour avoir peut-être rencontré ceux qui en possèdent l’art. Ou, au moins, avoir des noms. 

Les images qui me restent de lui sont floues comme des silhouettes drapées par la brume des matins humides. Je me souviens seulement qu’une large cicatrice fendait une partie de son front, et elle devait remonter jusque sur son crâne dissimulé sous la capuche. Ses yeux sombres surmontaient un nez court et pointu, qui renforçait l’air sévère de ses fines lèvres pincées. Ses traits semblaient porter avec peine le poids des âges alors que sa voix était celle d’un homme tout juste âgé d’une quarantaine d’années. Il était assez grand et me semblait de constitution solide, mais la large cape sous laquelle il se cachait ne me permettait pas de l’évaluer précisément. Il s’exprimait calmement mais de façon extrêmement concise et directe. J’ai d’abord pensé que cette économie de mots visait à ce que mon attention ne soit pas retenue par son léger accent étranger, aux tonalités latines. Mais je crois plutôt que cela laissait apparaître un homme méthodique et froid au fonctionnement opératoire et complètement dénué de toute forme de compassion.  

Cet homme savait que je cherche à monter une société et m’a proposé un soutien financier en échange d’un contact. Mais pas n’importe lequel, et c’est bien pour cette raison que c’est à moi qu’il s’est adressé. Mon habile maîtrise des petites affaires souterraines l’ont conduit à penser que je pouvais lui recommander un homme d’un profil bien défini : un homme qui porte en lui la force et la bêtise comme les deux bras d’un même corps. Un homme qui ait si peu d’amis et guère plus de famille pour que quiconque s’intéresse à lui… 

Je lui ai parlé d’un pauvre bougre du nom d’Henry les Gros Bras, un imbécile que j’ai souvent vu utilisé dans des affaires lugubres où il se jetait à corps perdu sans ne jamais poser une seule question ni même songer à le faire, pour peu qu’on lui promette de cuver son forfait dans un grand verre de whisky. Analphabète de métier, notoirement inculte, marié à la dépravation des mœurs, sa venue au monde en aura exclu la seule personne qui lui ait un jour porté un peu d’intérêt : sa mère, morte à l’accouchement. Il n’a jamais connu son père, dont il a même oublié s’il avait un nom. 

Dans un premier temps, j’ai pensé que ce pauvre bougre serait encore appelé à intégrer un projet de larcin crapuleux. Mais l’impression que m’avait laissée cet homme ne me quittait pas… J’ai rapidement compris que l’affaire serait plus grave, et que j’en savais déjà trop. Il m’est soudain apparu que je devenais sans doute un témoin pouvant s’avérer gênant suivant le dessein que connaîtrait Henry ou ce à quoi il serait mêlé. Il me fallait me mettre à l’abri.  

J’ai donc fui pour me protéger et laisser derrière moi les troubles de ma vie que je désire désormais abandonner au passé, afin que l’étendard de ma chère liberté morale ne devienne pas mon linceul. 

Tu comprendras que, pour ces raisons, je ne puis te dire où je me trouve. Et pour ta sécurité, Elena, je te prie de te débarrasser de cette lettre aussitôt que l’auras parcourue. Offre-là aux vents qui soufflent sur les plaines ensoleillées, confie-là aux eaux paisibles de l’oubli, là où aucun serpent ne pourra s’en emparer ni injecter dans nos vies son venin.      

Je prie le ciel que ces mots trouvent la voie pour apaiser ton courroux, et rêve à présent de jours plus lumineux où nous pourrons nous retrouver… 

Tendrement, Robin. 

De mon côté, cette affair_ de casquette me laisse un goût étrange de mystère non résolu. Sur vos directives, j’ai envoyé l’un de mes domestiques au bureau des objets trouvés de Hyde Park. En effet, une casquette brodée y a bien été récupérée le 18 novembre dernier. 

Mais alors, à qui donc appartient cet autre acc_ssoire retrouvé dans la main de la victime ? Pensez-vous pouvoir obtenir des analyses de vos bureaux d’investigation ? 

Pendant que mon domestique se rendait à Hyde Park, je me suis quant à moi approchée de Betty Findray, que j’ai feint de croiser par hasard sur le marché, hi_r après-midi. Avec une naïveté sincère, Miss Findray m’a révélé que Lord Huntington avait invité notre victime à déjeuner le 11 novembre.  

Mais tout cela, vous le savez déjà. Ce qui est nouveau en revanche, c’est que Miss Findray se rapp_lle l’insistance avec laquelle Mortimer s’interrogeait sur l’intention de Lord Huntington de se rendre au Grand Buffet trimestriel de Lady Fitzgerald qui devait avoir lieu… le soir du 13 novembre. Oui, vous avez bien lu…  

Betty Findray se souvient que Lord Huntington se souciait moins de la nature des convives que de ce qui serait proposé au buffet. Pour votre information, cet événem_nt est organisé tous les trois mois par Lady Fitzgerald depuis le décès de son mari. Il rassemble des citoyens anglais et des convives d’autres contrées du monde entier dans une orgie alimentaire où Huntington, archétype même de la gloutonnerie, avale une quantité de nourritur_ approximativement équivalente à son poids. Heureusement qu’il n’est pas de grande taille ni de corpulence débordante, contrairement à ce que l’on pourrait légitimement imaginer.  

En tout cas, il semblerait que Lord Mortimer, fidèle amateur de cet évén_ment, ait été particulièrement désireux que son ami s’y rende, et qu’il soit ainsi absent de son domicile dans la nuit du 13 au 14 novembre… 

C’est évident. Lord Mortimer est impliqué dans le cambriolage, et lui seul, de par la nature de sa relation à Huntington, pouvait accéder au domicile et au coffre.  

Mais comment quelqu’un comme Mortimer, un homme de si haut rang, dont l’éducation et les manières semblent si éloignées de c_ genre de méfait, pourrait-il s’y abaisser ? Bien que j’attende encore de vérifier le collier auprès de sa veuve, qui m’a promis que nous déjeunerions ensemble cette semaine, je n’ai que peu de doutes quant à la correspondance…   

Je tâcherai également de creuser la question d’éventuelles difficultés financières de notre victime.  

Et puis, je vais proposer une promenade à Lady Victoria Lamb qui, en dépit du nom qu’elle porte, est une véritable harpie qui consacre l’essentiel de son temps à épier, commenter et juger les moindres faits et gest_s de la société. Son terrain de jeu favori : le Grand Buffet. Elle y aura sûrement été le 13 novembre et pourrait nous apporter des informations complémentaires. J’_nvisage notamment de lui demander si elle a vu Lord Mortimer, ce soir-là, parmi les invités.   

Quant à vous, Gordon, peut-être pourriez-vous offrir un autre verre de whisky à notre Henry Brown, afin qu’il vous conte les souvenirs qui lui restent de l’homm_ encapuchonné ? Se souvient-il lui aussi d’un accent latin ? A-t-il remarqué autre chose ? Que sait-il sur l’objet de cette mystérieuse rencontre du 18 novembre ? 

Car, si vous voulez mon avis, il y a quelque chose qui cloche : Pourquoi un homme inquiet de la sécurité d’une personnalité comm_ Mortimer solliciterait un idiot comme Brown pour s’en assurer ? Et pourquoi chercherait-il à cacher son identité, alors que son intention est honorable ? Brown n’aurait-il pas été l’objet d’une manipulation ?

J’espère que le caractère prolifique de ce courrier ne vous effraiera pas.  

A bientôt, et soyez prudent… 

Amical_ment, 

Elena May

Les brouillards de Londres – e03

Dunstable 1 décembre 1877

Elena,

Je vous écris depuis le bureau du sergent Roterfield du poste de Police de Dunstable.

J’ai la confirmation que cette affaire va bien plus loin qu’une simple agression

Ce que vous évoquez concernant votre  me laisse sans voix. C’est une coïncidence des plus troublante. Mais J’ai bien peur que votre frère ait fait preuve de bien trop d’audace en s’intéressant aux affaires de Lord Mortimer.

Vous connaissez mon tempérament direct et parfois brutal dans mes propos. C’est un trait de caractère que j’ai gardé de mon service dans l’armée durant la guerre de Crimée. Sachez que je ne dérogerais pas à cet aspect de ma personnalité durant notre correspondance. Alors je vais être franc, j’ai bien peur que votre frère ne soit en grand danger.

Il se trouve que peu de temps après mon arrivée à Luton j’ai retrouvé Monsieur Henry Brown. Celui-ci fut facile à dénicher tant son retour fit grand bruit dans cette petite bourgade. Il me suffit d’attendre dans le pub local que notre suspect vienne dépenser sa nouvelle fortune en boisson et en activités dont la morale m’interdit d’évoquer dans une lettre adressée à femme respectable telle que vous.

L’homme a un visage altéré par la vie. Son nez déformé et ses cicatrices aux arcades évoquent les nombreux coups probablement reçus lors de combats clandestins. Ses yeux bleu vert éclaircissent quelque peux un visage éteins et crasseux. Sous la poussière noire qui recouvre son nez se devine un début de couperose évocatrice d’un penchant excessif pour la boisson. La description qui m’avait été faite de l’homme était en dessous de la réalité, car il est doté d’une carrure des plus impressionnante. Heureusement son état d’ivresse avancé me permit aisément de lui passer les fers non sans l’aide de deux agents de police locaux que j’avais amenés avec moi pour l’occasion.

L’interrogatoire fut des plus faciles. Si l’homme en imposait par sa musculature il n’en était pas moins victime de son addiction à l’alcool. Aux premiers signes de tremblement, signifiant un manque irrépressible de boisson, il me raconta toute l’histoire en échange d’un verre de whisky. Même le plus fort des hommes n’est pas exempt de faille.

Il m’a donc révélé quelque chose de troublant et d’étrangement en lien avec votre frère. Le 16 novembre dernier, juste après avoir gagné un combat clandestin, Henry fut abordé par un homme encapuchonné. Henry me jura que celui-ci l’a engagé pour protéger lord Mortimer lors d’une rencontre prochaine qui aurait lieu le 18 novembre sur les quais de la Tamise non loin du shakspear’s Globe. Henry reçut 50 Livres d’avance et 50 Livres devaient lui être versées après la rencontre. Mais notre homme à capuche n’a pas choisi le bon cheval.

Que fait un alcoolique qui reçoit une forte somme d’argent ?

Il le dépense en boissons. Et 50 Livres sont une somme qui permet de boire sans discontinuité pendant des semaines. Surtout au vu des tarifs pratiqués dans les bas quartiers de Londres. Il passa beaucoup de temps au Raven’s Bock et il fit un bel étalage de son argent.

Au final Henry était tellement saoul qu’il oublia de se rendre sur place le moment venu.

Il me raconta qu’il s’était endormi sur un banc de Hyde Park bravant l’interdiction d’y pénétrer après 20 heures. Il perdit sa caquetée durant la nuit. Selon lui, son nom est brodé sur cette dernière. J’ai quelque doute sur cette affirmation, car l’homme ne sait pas lire.

Pourriez-vous vérifier ses propos auprès des préposés aux objets trouvés du parc  ?

Il est à noter cependant que la casquette retrouvée dans la main de la victime est trop petite pour le crâne de Henry Brown.

Il s’est fait réveiller au petit matin par le gardien du parc qui l’a chassé. Puis dans un éclair de lucidité, l’homme décida de prendre la fuite vers sa ville natale afin de se faire oublier. Il avait manqué à son devoir et devait disparaître afin d’éviter les représailles de son mystérieux employeur.

C’est ainsi qu’il se rendit çà Luton.

Pour moi l’enquête arrivait dans une impasse. Plus aucun témoin. Et un coupable avec un possible alibi.

Mais tout changea avec votre lettre et un article du Times du 15 novembre dernier, que je joins au courrier. Je remercie le ciel de m’avoir octroyé une bonne mémoire qui me permit de me souvenir de l’article.

ARTICLE DU LONDON TIMES DU 15 NOVEMBRE :

UN VOL DE HAUT VOL !!!

Dans la nuit du 13 au 14 novembre dernier un vol des plus spectaculaire fut commis dans la résidence secondaire de Lord Hutington à Dunstable. Le voleur semblait extrêmement bien informé, car un collier en diamant d’une grande valeur fut subtilisé au nez et à la barbe du personnel de maison qui dormait paisiblement pendant le terrible méfait. Les malfaiteurs sont entrés par les toits sans commettre aucune effraction, car une fenêtre avait été laissée ouverte par mégarde.

«  Nous n’écartons aucunement une possible complicité du personnel de maison » relate l’inspecteur Taylor de Scotland Yard en charge de l‘enquête.

Durant ce cambriolage seul le précieux bijou fut emporté. Une pièce inestimable= habilement cachée dans un coffre dissimulé qui ne semble pas avoir posé de problème aux cambrioleurs, car il fut également ouvert sans effraction.

Pour l’heure l’enquête piétine, mais la Police de Sa Majesté espère en apprendre plus avec l’interrogatoire des employés de Lord Hutington.

Andrew Petterson

Après avoir retrouvé cet article, je me suis rendu tout de suite à Dunstable. Lord Hutington ne souhaita pas ma me recevoir prétextant qu’il avait déjà tout dit à l’inspecteur Taylor. J’ai pu tout de même participer à l’interrogatoire de Betty Findray, la femme de chambre de lord Hutington. Cette dernière clama son innocence, mais révéla une information importante. Lord Mortimer est venu rendre visite à Lord Hutington le 11 novembre dernier.

Pour moi le lien c’est fait rapidement dans ma tête. Lord Mortimer serait-il impliqué dans ce cambriolage. Sinon pourquoi sa veuve aurait-elle reçu en cadeau un magnifique collier en diamant associé à de nouveaux égards amoureux de la part de son mari ?

Je sais ce que vous pensez. Je me permets de porter un début d’accusation à l’encontre d’un homme de haut rang. D’autant que je prends la liberté de vous évoquer ouvertement cela alors que vous êtes vous-même membre de l’aristocratie. Mais pour moi, seule la vérité compte et si complicité il y a, il est de mon devoir de le découvrir.

Cependant, il reste encore trop d’inconnues. Lord Mortimer avait-il des problèmes d’argent ? Pourquoi ce rendez-vous nocturne ? Qui est cet homme encapuchonné ?

Il nous faut en premier lieu valider ma théorie. Collier étant unique, c’est une pièce qui est obligatoirement dotée d’une gravure de l’orfèvre qui l’a créé. En l’occurrence John Lampfert. Les initiales J. L. devraient se trouver inscrites sur ce collier si tel est le cas il serait bon que ce collier soit amené à nos bureaux pour authentification. Qu’en pensez-vous ?

Je n’ose même pas imaginer les remous provoqués si ma théorie devait se confirmer. Mais il comporte avant tout que la presse ne soit pas au courant. Je sais que la presse mondaine est assez aguerrie en matière d’enquête croustillante. Si jamais un journaliste apprend l’existence de ce collier parmi les bijoux de Lady Mortimer, notre affaire se compliquera et la Famille Mortimer risque de subir un discrédit qu’elle ne mérite pas. Je m’en remets à vous. Vos liens avec la veuve de la victime nous serviront grandement pour avancer dans cette affaire.

Je vais poursuivre l’enquête. Il me faut maintenant retrouver votre frère. C’est la clé. Et c’est la seule personne que nous pourrions décrire à d’éventuels témoins. J’espère prochainement vous annoncer une bonne nouvelle et pouvoir de nouveau goûter votre fabuleux gâteau à la carotte.

Je sais que je vous en demande beaucoup. Et je m’en excuse par avance. Je n’ai rien a exigé de vous, mais au fil de nos échanges je pense que vous à connaître mon tempérament.

Ne vous mettez pas en danger quoi qu’il advienne, vous avez beaucoup à perdre.

Amicalement

Gordon Brown.

Les brouillards de Londres – e02

Londres, Angleterre, 28 novembre 1877


Gordon,
Quel soulagement de recevoir votre lettre. Avant qu’_lle ne me parvienne, en effet, j’étais déjà informée de l’identité de l’individu retrouvé assassiné dans la Tamise. Lord Mathew Mortimer… Je ne saurais vous décrire l’effroi qui m’a parcourue à la lecture de son nom. Mortimer, cet homme dont la générosité n’avait d’égale que l’arrogance. Le genre de politicien qui contourne tout obstacle avec ce ton d’évidence des puissants face aux choses impossibles. Mais surtout… un homme auquel s’est particulièrement intéressé mon frère, je crois, quelqu_s temps avant sa disparition.

Oui, Gordon. Je n’en suis pas c_rtaine, mais il m’a bien semblé que Robin était pensif et préoccupé, ces dernières semaines. En tout cas, il était différent. Jusqu’à ce jour, j’ai bien pensé qu’il rencontrait de nouvelles difficultés dans l’élaboration de sa grande société de travail du tissu. Mon frère s’est toujours épris des folles ambitions comme s’il ne pouvait percevoir la saveur de sa vie qu’au travers de ce dont il l’agrémente, à la manière dont on sale un plat avant même d’en avoir porté la première cuillère à ses lèvres. C’est le s_ul héritage qu’il aura reçu de mon père.
Mais à présent, les choses m’apparaissent sous un nouveau jour. Et si Robin avait obtenu quelconque information en lien avec la mort de Lord Mathew Mortimer, deux mois plus tard ?
Tout a commencé au début du mois de septembre dernier.
Robin a r_çu la visite d’un homme qui n’a pas souhaité ôter sa capuche et laiss_r apparaître son visage, resté caché à mon regard tout au long de leur entrevue. Vous connaissez la suite : mon frère a disparu sans laisser de traces ni de message.
Alors, j’ignore si les deux affaires sont liées, mais tout c_la me laisse bien perplexe.

Mortimer assassiné… Ici, à Londres, tout le monde n_ parle que de cela. Si le meurtrier espérait faire disparaître notre homme afin que l’on ne se penche pas de trop sur ses affaires personnelles, c’est bien raté. A moins que son intention n’ait été autre ?
En tout cas, j’essaie d’avancer sur ces questions. Je me suis rapprochée il y a deux jours de la veuve éplorée, lui proposant mon soutien dans le secret espoir qu’elle me délivrerait quelque information. Tout ce que j’ai pu en obtenir, c’est que Lord Mathew Mortimer se montrait plus attentionné avec elle, ces derniers temps. Qu’il était devenu « l’homme aimant et serviable » qu’elle n’avait jamais espéré rencontrer en lui. Il y a quelques s_maines, elle est tombée par inadvertance sur un somptueux collier de diamants dans ses affaires personnelles. Elle se souvient même que dans l’excitation et la précipitation, elle a omis de le remettre dans son écrin. Il le lui a offert un p_u plus tard lors d’un dîner absolument royal.
De votre côté, j’espèr_ que vous aurez obtenu de nouveaux indices au sujet d’Henry Brown.

Hélas, je n’ai guère plus le coeur à préparer des gâteaux à la carotte. Le doute et l’inquiétude se sont emparés de mon esprit et le dominent un peu plus chaque jour, dans une étreinte lancinante. Si la pâtisserie est en _ffet une activité à laquelle je m’adonne volontiers en temps ordinaires, ces dernières semaines à fréquenter la police ne font que renforcer mon désir de retrouver, justement, ma vie ordinaire. Et puis, quand on a une mère, elle-même issue d’une grande famille d’aristocrates, qui a épousé un haut commissaire britannique, à dire vrai, on n_ refuse pas la proposition d’assister la jeune police de Skotland Yard pendant quelques mois. A une époque où très peu de femmes peuvent se prévaloir de pareille opportunité, je ne me suis pas fait prier. Et puis, l’hypothèse de Sherzey n’est pas inintér_ssante, après tout : qui d’autre attirerait moins de suspicion et de méfiance qu’une femme, dans les affaires policières, pour obtenir des renseignements et se rapprocher des réseaux se criminels que nous avons tant de peine à contrôler en nos contrées. Puisse ceci ne rester qu’une expérimentation, car mon impatience à rentrer chez moi grandit à m_sure que les jours passent !
Veuillez me pardonner de la qualité moyenne de l’impression, ma machine à écrire est aux années ce que les puissants sont aux fortunes : elle les accumule !

Amicalement,
Elena May.

Les brouillards de Londres – e01

Luton, Angleterre, 21 novembre 1877

Chère Collègue.

J’ai bon espoir que ce courrier vous parviendra au plus vite. Je sais que vous êtes inquiète de ne pas avoir eu signe de vie depuis mon départ il y a trois jours suite au signalement de la découverte de ce cadavre repêcher dans la Tamise.
Rassurez-vous, je suis vivant. Et si je vous écris depuis Luton c’est bien parce que mon enquête m’y a menée. 

Mais pardonné moi d’oublier les bonnes manières en ces circonstances. Je tiens toutefois à rester Gentleman. Je sais que vous avez été très occupé avec la disparition de votre frère. Je n’ai pas eu le temps de vous demander si vous aviez eu une piste et si l’inspecteur Principal Sherzey vous a autorisé à enquêter sur cette affaire qui vous concerne au plus au point. J’entends bien vous aider dès que cette affaire de meurtre sera résolue. J’espère malgré tout que vous continuerez à nous cuisiner cet excellent gâteau à la carotte dont vous avez le secret. Tout le service en parle encore. Aviez-vous travaillé en la pâtisserie auparavant?

Ne voyez pas dans mes questions une forme d’indiscrétion mal placé, mais j’aime connaitre les personnes avec qui je travaille et nous faisons équipe depuis peu. De plus, je suis actuellement dans le train qui me mène à Luton et j’ai passablement le temps de rédiger cette lettre et d’y ajouter quelques petites questions personnelles qui nous permettront de nous connaître et de former une équipe des plus efficace lors de mon retour. Je pense que mon enquête m’obligera à voyager souvent dans le pays. Je vous enverrais de nombreuses lettres. Nous profiterons donc de ces correspondances pour évoquer l’enquête tout en parlant de nous. D’ailleurs pour nos correspondances, vous pourrez m’écrire directement au Station Hotel 40a Guildford St, Luton LU1 2PA. C’est là que je vais descendre à mon arrivée à Luton.

Revenons-en à notre affaire. Le 18 novembre dernier, je suis parti précipitamment suite au télégramme indiquant qu’un cadavre avait été repêché dans la Tamise à la hauteur du Shakespear’s Globe. A mon arrivé, la victime était allongée sur le quai les premiers, agents de police étaient déjà présent. Il ne fut pas nécessaire d’interroger les témoins pour l’identifier. Ce n’était autre que Lord Mathew Mortimer. Le célèbre politicien et ami de la Reine. Autant dire que cette affaire va faire grand bruit. Mais si vous avez lu les journaux, vous connaissez déjà l’histoire et la cause de la mort. Celui qui a étranglé le pauvre homme avait une force de géant, car la nuque a été brisée lors de l’étreinte. Puis le corps fut jeté dans l’eau. Dans la main du défunt, une casquette élimée a été retrouvée. L’homme la tenait si fermement qu’il a été impossible de lui enlever plus l’examiner plus avant. Cet objet appartenait à son agresseur sans l’ombre d’un doute.

Mais, ce qui est indiqué dans le London Times est faux. Ce n’était pas un vol qui a mal tourné. La victime avait encore son argent et objets de valeurs à lui quand son corps a été sorti du fleuve. Ceci indique donc qu’il n’a pas été tué pour ses possessions, mais pour une raison tout autre. Les mobiles pour tuer une personne aussi importante sont légions. Aussi, je souhaiterais que vous alliez enquêter dans la haute société histoire d’en apprendre plus sur Mortimer et surtout de lister ses ennemis. J’avoue ne pas connaître son domaine de prédilection. C’est juste un homme d’affaire important. Il serait intéressant d’en apprendre plus à ce sujet. Votre présence à Londres vous permettra d’en apprendre plus.

Après avoir jeté un œil au corps, j’ai laissé les agents interroger les passant et me suis dirigé vers le Raven’s Bock, un tripot dont je connais bien le propriétaire. Je vous épargne les multiples péripéties pour obtenir le droit d’entrer dans son établissement. Mais au final, j’ai appris qu’un docker, nommé Henry les gros bras aurait quitté précipitamment le quartier dans la nuit. Certains ont affirmé qu’il est venu boire un verre ou deux au tripot et qu’il aurait offert une tournée générale à tout le monde. Chose qui n’est pas dans ses habitudes. Son veston était quelque peu déchiré et il n’avait plus sa casquette. On raconte, qu’avec l’effet de l’alcool il aurait déclaré vouloir quitter Londres le soir même car un travail lucratif lui permettrait maintenant de ne plus avoir besoin de décharger les bateaux. 

J’ai évidemment suivis la piste. Et en allantsur les dock, j’ai rapidement appris que l’homme avait fait ses bagages pour retourner dans sa ville natale. Luton. L’homme s’appelle en fait Henry Brown. Il est grand, fort et semble une personne sans scrupule. 

Me voilà donc en route pour Luton en espérant trouver plus d’informations. Lorsque ce courrier vous parviendra, je serais surement entrain d’appréhender le suspect. En tout cas, tel est mon objectif. 

Amicalement,
Gordon Smith.