Des deux rives – e07

Le 16 septembre 1941                                                                                 A Strasbourg,   

Ma très chère Amie,  

En voyant cette jolie blonde d’à peine dix-huit ans, prénommée Juliette, j’imagine que tu as tout de suite compris. Le pauvre Willi a été arrêté près de la frontière en août 40, ma lettre bien cachée dans la doublure de son pantalon. Il a été fusillé le jour même dans la cour de l’école Charlemagne pour haute trahison et échange d’informations confidentielles. Ce fût une immense tristesse pour tous ceux qui le connaissait. Sa sœur cadette Juliette, armée d’un courage incroyable décide de suivre ses pas. S’il te plait, garde-la quelques jours cachés comme tu le faisais pour Willi. Je pense qu’elle en aura bien besoin. 

J’ai tellement voulu t’écrire, prendre de vos nouvelles. Tu me manques terriblement.  

Ma petite fille est née le 28 juillet de l’an passé. Stefan n’a pas pu revenir à temps pour l’accouchement. Heureusement, Ada, Suzelle et la vieille Martine, m’ont aidé de toutes leurs forces. Quelle épreuve ! J’ai cru mourir plusieurs fois… jusqu’à croiser ses petits yeux plein de vie. Un seul prénom m’est venu en tête, c’est le tien ma petite Bretzel, je l’ai appelé comme toi. Elle s’appelle Bettina. Elle est merveilleuse. Ses sourires me soufflent l’espoir et le courage. Tout comme tu l’as toujours fait pour moi. Je me suis toujours sentie forte près de toi. Je me rappelle bien, ce vieux curé que l’on embêtait par nos farces d’enfants. Devenir Nonne, même pas peur, si l’on est ensemble…  

Ma maman nous abandonne, mais toi tu es là. Tu me fais rire et tu me jure que nous, on ne se quittera jamais. Je viens souvent chez vous à la ferme avec Suzelle. Qu’est-ce qu’on rit ! Tu te souviens quand on avait raconté aux petits que Zola la poule mangeait les enfants, surtout les petits grassouillets. Erik et Martina refusaient de s’endormir seuls. Ta mère nous avait donné une bonne leçon… Dormir au poulailler avec Zola ! Tous ces souvenirs me submergent. Je t’aime tellement. Je serai si heureuse de vous présenter ma petite Bettina.  

Je prie chaque soir pour que la guerre vous épargne, ta famille à la ferme et tes frères au front. Ils ont pu revenir en permission ? Helmut doit vraiment trouver le temps long sans sa famille. Le petit dernier reste… le petit dernier. 

Donne-moi vite des nouvelles, de tes parents, de mon filleul chéri, de tes frères et sœurs, de ton ombre Sidonie et le brave Hopla. Toi et Hans aussi bien sûr. 

Je ne sais pas encore si nous allons rester à Strasbourg. Je ne peux t’en dire plus par écrit pour l’instant.  

Stephan est avec nous. Lorsque la France s’est fait envahir, il a été fait prisonnier de guerre et a été envoyé en Allemagne. Il n’a donc pas pu me voir avec ce ventre énormissime. J’étais encore plus énervé et inquiète, ne connaissant pas la situation … Le pauvre ! Lors d’un transfert en train, il a réussi à s’échapper avec un jeune soldat. Il est revenu prudemment en se cachant souvent. Il est arrivé le 4 août, sept jours après la naissance de notre fille. Je ne l’ai jamais vu si heureux. Il pleurait comme un enfant avec un sourire de grand-mère qui mange des caramels. Je n’en menais pas large non plus je l’avoue.  

Comment ça se passe à la ferme, avez-vous toujours vos vaches et vos cochons ? La récolte de juillet/ août ne vous a pas trop épuisé ? Arrivez-vous à manger correctement ? L’armée n’a pas réquisitionné votre ferme pour s’y loger ?  

Ils font beaucoup cela dans les fermes aux alentours. C’est la panique à Strasbourg depuis l’occupation. Plus d’un an après, on ne s’y habitue pas. On entend parfois des bombardements lointains. Je préfèrerais avoir peur de Zola. Je serre mon bébé tout chaud à l’odeur de lait contre moi et je me jure de tout faire pour la protéger.  

Tu avais raison pour l’Allemand qui venait dans la boutique. Il s’agissait bien de Rudolf Bëomberg. Je m’étais beaucoup méfiée suite à ta lettre. Il a continué à venir. Et, un jour, n’y tenant plus, je lui ai demandé ce qu’il voulait vraiment, que je l’avais reconnu.  

«- Ada…. » A répondu l’ordure !
– Qu’est-ce que tu lui veux ? J’ai dit rouge de colère, énorme, prête à exploser.  
– Lui dire…. 
– Quoiiiiiiii !
-Qu’elle est en danger. On sait qu’elle est juive… on reçoit des courriers tous les jours pour dénoncer les juifs du quartier. Heureusement que ma poubelle est grande. 
-Pourquoi tu me préviens ?  
-Je ne savais pas qu’Ada était juive…. Je l’aime bien, elle me donnait des cours de piano quand j’étais petit. J’adorais ça.  

Il a tourné les talons mais a insisté avec ce danger encore une fois en appuyant son regard plus fort.  

Je n’ai pas eu le temps de le remercier… je ne l’ai jamais revu.  

Dix jours plus tard, j’accouchais. Ada a embrassé l’enfant de toutes ces forces et nous a dit qu’elle partait en zone libre dans le sud de la France. Papa a fait l’aller-retour avec sa petite valise verte. Il y a mis son cerveau dedans pour ne plus penser a-t-il dit. Je lui avais parlé de venir se cacher chez vous. La ferme est isolée et il y a beaucoup de cachettes mais, quand on voit la minutie que les soldats emploient pour débusquer de pauvres gens… Papa avait peur qu’Ada soit attrapée et que vous soyez considérés comme complices. On ne rit pas avec ça… Si tu savais ce qu’ils ont fait au gros boulanger qui fournissait en douce du pain les résistants…. 

Ma très chère Bretzel, prend soin de toi et ta famille. 
                                                    

Je t’embrasse très fort ainsi que ta famille. 

Ta Choucroute qui T’aime  

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