Sundheim, le 31 mai 1961
Ma petite chérie,
La fierté que j’éprouve aujourd’hui pour toi est très grande. Le chemin que tu as accompli jusqu’ici me comble de joie. Malgré, une naissance pendant la guerre, la perte d’un parent, tu as su trouver ta voie et vivre de ta passion.
Je suis tellement déçue de ne pas avoir pu assister à la première de ta pièce. Je me console en me disant que tu aurais été encore plus stressée, si tu m’avais su dans la salle. Tu vas être contente, Klaus a décidé de m’offrir le voyage jusqu’à Paris, pour venir voir une de tes représentation. J’ai tellement hâte de pouvoir te voir sur scène. Je connais Romy Schneider mais pas le comédien qui lui donne la réplique, un certain Alain Delon. J’ai entendu dire que c’était un très bel homme.
Nous arriverons à Paris le 7 juin et nous ne resterons que trois jours, c’est difficile de s’absenter trop longtemps de la ferme. J’en profiterai pour acheter une ombrelle et quelques accessoires pour le mariage.
Je t’embrasse très fort mon trésor
Ta marraine qui t’aime
PS : Le prochain mariage sera peut-être le tien !
Ma très chère petite Choucroute,
La sensation de t’écrire à nouveau est vraiment très bizarre, je suis replongée il y a deux décennies plus tôt. Heureusement, les circonstances sont plus gaies aujourd’hui.
Klaus a trouvé un petit hôtel dans le 4ème arrondissement de Paris pour vous rejoindre, quelques jours. Je suis si impatiente de vous retrouver dans cette superbe ville. J’espère que tu vas jouer le guide et nous faire découvrir pleins d’endroits magiques, en peu de temps. Le travail ne nous laisse pas assez de sursis mais changer un peu d’air, nous fera un bien fou.
Je suis tellement contente pour Bettina et comme toi, je suis très fière d’elle. Je remercie Hilda de lui avoir fait la classe avec nos autres enfants pendant que l’on travaillait. C’était la plus jeune et elle a pourtant appris à lire très jeune. A l’époque, je trouvais marrant qu’Hilda les fasse jouer des pièces de théâtre pour les occuper. C’est vrai, que nous avions si peu de livres, que ce n’était pas facile de faire travailler six élèves avec une si grande amplitude d’âges.
Suzelle a fait aussi du chemin depuis la fin de la guerre et a travaillé dur pour avoir un métier qui est plutôt réservé aux hommes. Je suis tellement heureuse que tu aies refait ta vie avec Moritz, il est si gentil et Stefan l’aurait approuvé.
Je n’ai jamais osé te demander pardon pour la mort de ton mari, le père de Bettina. Si je ne vous avais pas proposé de nous rejoindre à la ferme, il n’aurait pas dû se sacrifier. J’éprouve encore beaucoup de remords à cette pensé mais égoïstement, je suis contente que Suzelle, Bettina et toi furent en sécurité et alimentées au sous-sol. Ton soutien a été d’une grande aide pour moi et t’apporter le mien me faisait tenir le coup. Après toutes les épreuves que nous avons passées ensemble, notre amitié est éternelle.
Avant la guerre, j’ai longtemps pensé n’avoir qu’un seul enfant et pourtant après, je me suis retrouvée avec Klaus à élever cinq enfants. Elsa, Philipp, Lili et Markus sont comme les nôtres, heureusement que Martina et Hilda nous ont aidées. Hans les considère également comme tels, ainsi que Bettina. Aujourd’hui, ils sont adultes et je suis fière de chacun d’entre eux car ils ont une famille, du travail et ils sont tous heureux.
C’est tellement agréable de savoir que tu habites juste à quelques mètres de chez moi avec ton compagnon. Je sais que tu es en sécurité, que je peux compter sur toi, à n’importe quel moment du jour ou de la nuit et vice-versa.
Au fait, je ne devrais pas t’en parler mais c’est plus fort que moi, j’ai surpris nos hommes discuter avant votre départ pour Paris. Ils parlaient d’une surprise pour nos cinquante ans à toutes les deux, mais je n’en ai pas plus entendu. Je suis impatiente de savoir ce qu’ils nous ont concocté ces deux-là !
Les préparatifs du mariage de ma petite Elsa sont presque finis, merci pour ton aide précieuse. J’ai tellement de plaisir de savoir que je vais revoir toutes les personnes que j’aime à cette occasion, tous les membres de ma famille, ton papa, Ada, Bettina, Moritz et toi. Je suis également impatiente de la venue des Etats-Unis de Juliette et Erik, depuis la fin de la guerre, on ne les a presque jamais revus.
Tu pourras dire à Suzelle que l’opération d’Hilda a très bien réussi, qu’elle marche très bien et sans douleur. Elle aussi pense qu’il n’y a pas assez de femmes qui travaillent et encore moins avec des postes qui demandent des compétences. Elles donnent des cours de soutien bénévolement aux élèves motivés dont les parents n’ont pas les moyens de payer. Je soupçonne qu’elle a la nostalgie de lorsqu’elle faisait la classe au sous-sol.
Je te dis à très vite ! Dès que nous serions installés à l’hôtel le 7 juin, nous vous rejoindrons chez Suzelle, à l’adresse que tu m’as donnée.
Prends bien soin de toi, je t’embrasse très fort ainsi que Suzelle et Moritz
Ta petite Brezel chérie à qui tu manques
PS : A la fin de l’été, nous partirons visiter les Etats-Unis, Juliette nous a invité et Klaus laissera Hans s’occuper de la ferme pendant trois semaines