Les brouillards de Londres – e05

Très chère Miss May

En bon gentleman, permettez-moi avant tout de vous présenter mes excuses les plus sincères. Car la lettre que vous tenez dans vos douces mains ne fut pas écrite pas votre ami Gordon. Mais bien par ma plume. Je sais que le désarroi doit être grand et l’inquiétude encore plus. Mais sachez que l’inspecteur Gordon Smith se porte comme un charme malgré les coups qu’il a reçus lors de son enlèvement.

Sachez avant tout que je déplore au plus haut point d’avoir été contraint d’agir de la sorte. Puissiez-vous me pardonner pour le désagrément que cela pourrait vous occasionner.

Il se trouve que depuis l’enfance j’ai développé un sens du danger et une capacité d’anticipation hors du commun. Bon nombre de mes pairs dans le domaine de la pègre en ont mainte fois fait les frais. C’est donc en m’intéressant à la personne qui enquêtait sur le meurtre de ce pauvre Mortimer que mon intuition s’est présentée à mon esprit comme une alerte au feu dans un quartier insalubre. J’ai consulté les états de services de l’inspecteur Gordon. Je fus fortement impressionné. Sa réputation n’est plus à faire. J’ai donc décidé de faire intercepter son courrier.

En lisant vos correspondances, j’ai constaté que votre partenariat est tout aussi original que dangereux. L’enquête avance plus vitre que prévu, car votre concours était imprévu et a permis à l’inspecteur Smith de comprendre bien trop vite certains évènements. Ceci reste pour moi, inacceptable. J’ai investi beaucoup de temps et d’argent pour parfaire ce projet qui me tient tant à coeur. Après la trahison de Mortimer et l’erreur commise en recrutant Mr Brown, je ne peux plus me permettre de prendre du retard.

Je me dois donc, Miss May, d’abandonner mes principes de gentleman en vous sommant de me remettre le collier de Lord Hutington détenu, comme vous l’avez si bien deviné, par Lady Mortimer. Je pense qu’une personne aussi intelligente et subtile que vous n’aura aucun souci à subtiliser ce chef-d’œuvre de joaillerie au nez et à la barde d’une veuve éplorée. Dans le cas où vous tarderiez à vous exécuter, ou même pire, dans le cas où vous refuseriez tout simplement. Je me permettrais de vous envoyer votre ami Gordon Smith par petit morceau dans divers courriers successifs.

Mais n’étant pas adepte des actes de barbarie je préfère vous laisser une chance de sauver votre ami sans que le sang ne coule de nouveau. Sachez toutefois que j’ai dans mes relations des personnes capables du pire. Je ne vous en décrirais pas plus, car je sais que l’imagination des femmes de bonne famille est des plus puissantes, je ne voudrais pas perturber vos sens avec de mauvaises images.

Une fois que vous aurez le collier déposez-le dans la poubelle jouxtant le banc sur lequel ce gros lourdaud de Brown a fait sa sieste au lieu d’accomplir la tâche qu’il lui a été demandé. Ceci sera au final une manière de conjurer ce mauvais sort qui semble s’acharner sur moi depuis quelques jours. N’en déplaise à vous et à votre ami, j’ai pris parti de reporter cette malchance sur vous. Mais sachez qu’une fois le collier en ma possession l’inspecteur Gordon sera libéré en bonne santé. Je vous en fais le serment sur le peu d’honneur qu’il me reste.

Cependant je ne pourrais pas en dire autant pour votre frère. Celui-ci reste introuvable et la lettre que vous avez fait parvenir à Gordon indique bien un lieu qui m’est inconnu, mais que je ne tarderais pas à découvrir. Afin de vous montrer ma bonne fois et pour vous prouver que je ne suis pas l’être barbare et sans morale que vous imaginez. Je tiens à vous faire quelques révélations sur votre très cher Robin.

Nous nous sommes rencontrés lors de son voyage en Andalousie il y a 5 ans environ. C’était un jeune aristocrate Britannique en mal d’aventure et j’étais un jeune malfrat en mal de reconnaissance. Nos routes se sont croisées dans un casino. Sans vous en communiquer les détails, je dirais que nous nous sommes associés. Lui m’enseigna l’anglais et les bonnes manières et de mon côté je lui donnais des cours de truande. Je fis fortune et lui se fit un nom. Et puis un jour sans prévenir, il quitta le pays. Et nos chemins se sont séparés. Ma colère laissa rapidement la place à l’indifférence et j’ai donc poursuivi ma carrière solo. Et au fil des aventures je me suis retrouvé à Londres. Et devinez qui j’ai contacté en arrivant dans votre belle Angleterre ?

Il m’a dit qu’il s’était rangé, mais il m’a indiqué Henry les gros Bras comme bouc émissaire potentiel. L’agresseur parfait pour un meurtre que l’on souhaite déguiser en agression.

Après enquête de ma part, j’en ai conclu que votre frère savait que cet Henry ne ferait pas son travail. Il savait qu’il ferait échouer mon plan. Il m’a sciemment trompé et pour cela, je dois me venger.

Mais en Malfaiteur honorable je me dois d’en informer la sœur de ma prochaine victime de sa mort prochaine.

Sachez que votre frère m’a mainte fois parlé de vous. Et en d’autres circonstances c’est durant un bal que nous nous serions rencontrés et nous aurions pu nous connaître et discuter lors d’une valse dans un salon mondain. Mais la vie étant parfois une piètre blagueuse nous nous retrouvons dans cette situation déplorable.

Quoi qu’il en soit, j’espère ardemment que cette lettre sera la seule et la dernière que je vous écrirais. Car bien que nous soyons ouvertement conflit sur des intérêts divergents, je dois avouer que je porte une grande admiration à votre intelligence. Et sachez que c’est une qualité pour laquelle j’ai beaucoup d’estime. C’est pour cela que je offre une solution pacifique pour votre ami l’inspecteur Smith. Son avenir est entre vos mains.

Mais si d’aventure vous souhaitiez contacter ma modeste personne. Je vous laisse porter votre lettre au tenancier d’un certain tripot que vous connaissez bien maintenant. Dites simplement au tenancier que cette lettre est destinée à S. Il saura quoi faire. Mais, un conseil, ne vous mettez pas en tête de le suivre pour tenter de me retrouver. Vous imaginez bien que je prends quelques précautions et que toute tentative de votre part de me nuire ou de me retrouver serait fatale pour ce pauvre Gordon. Mais je sais qu’une femme aussi délicieuse que vous ne saurait faire courir un danger aussi périlleux à l’un des inspecteurs les plus respectables de Scotland Yard.

Respectueusement,

S.

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