Des deux rives – e03

Le 10 janvier 1940                                                                                             à Strasbourg     

                                                           Ma petite Bretzel chérie,  

Ma réponse tarde à te parvenir, ce qui me permet de te présenter mes Vœux les Meilleurs pour cette nouvelle année ! 1940 ! Déjà !!! Espérons de tout cœur la fin de cette maudite guerre et nos heureuses retrouvailles.  

Willi a eu une grosse frayeur lors de son retour en France la dernière fois. Les patrouilles étaient plus nombreuses et accompagnées de bergers allemands. Il a passé deux jours cachés dans la forêt. Si ses yeux lui font défauts (ce qui lui donne ce drôle d’air), il compense par ses oreilles m’a-t-il avoué. Il se révèle un garçon d’une gentillesse incroyable. Il m’a offert des tickets de rationnement en même temps que me porter ta lettre qui m’a réchauffé le cœur.  

Merci,merci !  

Que j’aime te lire ! Que je suis rassurée en vous imaginant tous ensemble (même affamés, j’en suis navrée) travaillant à la ferme.  

Hans a déjà 7ans !!!!!! Quel grand garçon formidable, il me manque tellement, il a dû changer ces derniers mois.  

Dis-lui que sa marraine pense énormément à lui. Nous irons pique-niquer ensemble au bord du Rhin ou de la Kinzig dès que les beaux jours reviendront.  

J’ai confié un bonnet à Willy pour Hans, des gants de laine pour toi et une écharpe bien chaude, pour soulager les cervicales de ton papa. J’ai tous les habits qu’il faut avec la boutique. Je m’habille comme un oignon, j’empile les couches de vêtements les unes sur les autres… il fait si froid dehors. 

Question nourriture, je prie pour vous soyez quand même mieux lotis que nous ici, à Strasbourg, la faim est omniprésente. 

Les tickets de rationnements sont rares. Nous mangeons très peu. A chaque bouchée, je pense fort à mon bébé qui grandit et espère que cette petite quantité lui suffira.  

Stefan travaille comme intendant pour l’armée française dans les Ardennes, il compte, prévoit, gère les stocks (de Guerre). Il rentre un weekend sur deux environ. Il évite systématiquement les questions sur son travail car « trop de vagues à l’âme » se justifie-t-il….  

La semaine, j’aménage chez Papa et Ada. Ma sœur Suzelle est là aussi. C’est petit mais on se tient chaud. Avec Suzelle nous partageons la couche dans la salle commune. Je colle mes pieds gelés contre ses mollets, elle râle, je ris. Elle pose sa main sur mon ventre et parle à la « petite mirabelle ». J’aime ces moments-là.  

Papa voit régulièrement Willi, avec qui il s’enferme dans sa chambre- bureau pour parler au calme explique-t-il. Son air contrarié ne me rassure pas et m’intrigue au plus haut point. 

Il parait très soucieux ces dernières semaines. Je pense que c’est à cause d’Ada. Beaucoup de ses élèves suspendent leurs leçons de piano, faute de moyens disent-ils. Papa pense que c’est parce qu’elle est juive. 

Te rends-tu compte ? Juive, catholique, musulmane… peu importe, elle est comme ma maman depuis toutes ces années. Cela me rend si triste.  

Ada a pleuré quand je lui ai raconté pour la vente de ton piano. Elle dit que tu es la meilleure élève qu’elle n’ait jamais eu. Elle t’aidera à en retrouver un (bien mieux encore) une fois la guerre derrière nous.   

Avez-vous toujours beaucoup de travail avec cette neige qui recouvre les champs ? Hans continu-t-il à aller à l’école tous les jours ? Je sais qu’il aime tant y aller. Je suis si soulagée de savoir Klaus à vos côtés.  

Si tu as besoin de quoi que ça soit, tu peux compter sur moi. Envoie-moi de vos nouvelles et embrasse toute ta petite tribu. ( Willi passera rechercher ta lettre) 

                                                 Je t’aime si fort.   

                                                                                                                       Bertille

Ps : Je m’évade souvent, la tête dans nos rires et nos promenades. Prend soin de toi Ma Bretzel !  

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