Sundheim, le 7 avril 1942
Ma chère amie Bertille,
Tes pensées pour Helmut me vont droit au cœur et ta description que tu fais de lui, me rappelle tous les bons moments que nous avons passé tous ensemble, enfants. Je maudis cette guerre qui me prive de ta présence, à cet instant si tragique pour ma famille, l’absence mon petit frère est insupportable et j’aurais tellement besoin de ton soutien pour traverser ce deuil.
Apprendre, Stephan blessé de guerre m’attriste énormément. Mais de savoir qu’il n’y aura plus de guerre pour lui, me rassure grandement. Est-ce que les médecins de l’armée pensent qu’il pourra subir une opération pour retrouver l’usage de son bras et de sa main ? A 34 ans, ça ne doit pas être facile de se sentir diminué, j’espère qu’il pourra guérir. Au village, nous avions un vieux rebouteux, il faisait un peu peur mais il aurait sûrement plus le soulager, voire même guérir. Tu te souviens peut-être de lui, il habitait juste à côté de l’église et il parlait toujours à son chat. Y aurait-il également un guérisseur pratiquant des techniques anciennes à Nancy ? Si vous en trouvez un, Stephan devrait peut-être essayer, on ne sait jamais…
Je suis heureuse de savoir Stephan près de Bettina et toi à Nancy. Vous êtes chez ta tante pour l’instant, mais vous devez être un peu à l’étroit, avec Suzelle, ton papa et vous trois ? Allez-vous essayer de trouver un endroit convenable pour vous loger avec une enfant en bas âge ? De quoi vivez-vous ? Je me doute que ça ne doit pas être simple tous les jours. Ça doit être affreux de partir du jour au lendemain, pour un endroit inconnu. Fermer la boutique a dû vous fendre le cœur. Espérons qu’il n’y aura pas de pillages et que vous retrouverez tous vos biens en rentrant à Strasbourg.
Je compatis avec Elise, Juliette est partie plus d’un an, sans se rendre compte du temps passé, loin de sa famille. Elle est restée vivre et travailler à la ferme comme si c’était son environnement naturel. Oui, elle est vraiment courageuse et à son âge elle ne devrait pas être obligée, de mettre sa vie en danger, comme elle le fait, pour le bien des opprimés de la dictature de l’Allemagne. J’en suis tellement désolée, j’ai tellement honte d’être allemande.
Je suis rassurée que Juliette et Erik soient tombés amoureux car avant de partir sur le front, il ne faisait que travailler et ne se souciait pas des filles. Je n’aurai pas aimé le savoir finir sa vie, seul. Ils sont si mignons tous les deux mais cette guerre ne les aide pas à être heureux. Tant qu’elle ne sera pas finie, ils ne pourront pas penser à fonder une famille et à s’engager d’avantage l’un envers l’autre.
Je comprends tout à fait que ton papa ne soit pas resté en zone libre avec Ada, pour continuer son rôle dans la résistance française. Je me rappelle de lui comme un homme avec des valeurs et d’une grande générosité, il ne pouvait pas en être autrement, il devait être résistant ! Juliette nous avait expliqué en quoi consistait se mouvement, qui prend de plus en plus d’ampleur. Les résistants français s’organisent entre autres, à faire passer en zone libre des prisonniers français qui se sont échappés ainsi que des militaires allemands enrôlés de force qui sont appelé les « Malgré-nous ». Je ressens beaucoup de gratitude envers ces gens qui risquent leur vie pour éviter l’emprisonnement d’innocents. Aujourd’hui, je peux affirmer que ma famille et moi-même sommes de la résistance ! Nous voulons essayer de protéger le plus possible de personnes à notre échelle.
Je prends bonne note pour le Renard, j’espère que l’on pourra échanger des informations ensemble, également. Nous devons être très prudents pour garantir la sécurité des personnes que l’on met à l’abri.
Aujourd’hui, Nancy est française mais si vous sentez le vent tourner, si vous entendez des informations qui vous laisseraient pensé que vous n’êtes plus en sécurité et que vous n’avez pas le temps de rallier la zone libre, je vous convie à nous rejoindre, nous avons assez de place au sous-sol. Nous pouvons même rajouter des matelas s’il le faut et je sais où les trouver.
C’est malheureux de savoir que des gens dénoncent d’autres personnes, qui se font arrêter et déporter. Par chance, nous ne devrions pas être victime de délation, vu que nous n’avons plus de voisins. Comme je te le disais dans ma précédente lettre, les fermes aux alentours ont été réquisitionnées par l’armée. Quelques semaines plus tard, les soldats les ont désertés pour se rendre à Kehl ou autres destinations. Etant donné que notre dictateur déclare la guerre à de plus en plus de pays, il faut bien que des hommes s’y rendent pour combattre. Nous avons profité de la situation pour aller récupérer chez nos anciens voisins, tout ce qui pouvait nous servir pour le sous-sol. Nous avons récupéré de la nourriture, de la vaisselle, des vêtements, des lampes, des couvertures, du charbon, des médicaments, quelques armes oubliées par l’armée et divers objets.
Je garde néanmoins un torchon blanc à proximité de la fenêtre de la cuisine, nous ne pouvons pas être sûrs d’être hors de danger, même si l’armée n’est plus dans les parages.
Je suis contente pour Ada, même si elle doit être très triste loin de ton papa, mais au moins elle n’est pas emprisonnée et ils pourront à nouveau être ensemble quand tout sera fini. Oui, c’est vrai j’avais oublié que les juifs sont obligés de porter l’étoile, c’est affreux de mettre ce fichu tampon sur leur passeport. J’espère vivement que la zone libre, le restera et que toutes les personnes qui s’y sont réfugiées, resteront en sécurité.
Ni Erik, ni Klaus, ne savent où ils sont emmenés car ils ne sont pas assez gradés. Ils savent juste qu’ils partent dans des camps pour effectuer des travaux forcés. Quand, je repense à la situation, je me dis qu’Ada et même Hilda auraient pu se retrouver dans l’un de ces camps. Elles sont bien mieux, là où elles sont !
Klaus va bien, jusqu’à peu de temps, il rentrait tous les week end. Il travaille dans un entrepôt près de Kehl, c’est ainsi dire à quelques kilomètres de la ferme. Au vu, de son efficacité au niveau de la logistique de redistribution de la nourriture, en direction des différents points stratégiques des combats, il a été nommé responsable de cet entrepôt. En travaillant à la ferme, depuis que nous sommes mariés, il a appris beaucoup de choses utiles dans pour être performant dans sa mission. Sa nouvelle fonction lui permet, de détourner quelques cartons de nourritures de temps en temps pour ravitailler le sous-sol. Les temps sont durs et il a pu faire du troc avec son homologue à l’entrepôt des médicaments, pour avoir quelques produits médicaux de premières nécessitées. Par chance, ils étaient à l’école ensemble et il sait qu’il peut avoir confiance en lui. C’est très dangereux pour Klaus et il sait très bien qu’il sera fusillé, s’il est découvert. Il travaille pour l’armée à contre cœur et je sais qu’il n’hésitera pas à se sacrifier pour protéger d’autres personnes.
Depuis, ma dernière lettre beaucoup de choses ont changé. Le lendemain du départ de Juliette, nous avons eu une visite d’un haut gradé de l’armée. Nous avons eu très peur car nous avons d’abord pensé que l’on avait été démasqué, mais si ça avait été le cas, il serait venu avec des hommes armés pour nous fusiller, comme votre boulanger ou emprisonner. Il est en fin de compte venu, nous annoncer qu’Erik était mort en URSS sur le terrain en pleine mission, mais que son corps n’avait jamais été retrouvé. Nous avons joué la comédie, en pleurant d’avoir perdu deux enfants à la guerre, à quelques mois d’intervalles. De ce fait, Klaus a été promu Sergent pour la perte de ses deux beaux-frères et maintenant il rentre tous les soirs dormir à la ferme. Ça me réjouis de le savoir avec nous, plus souvent. Il travaille beaucoup moins, il délègue une grande partie de son travail, il supervise et se consacre davantage à récupérer le plus possible de denrées sans éveiller les soupçons.
Erik avait déjà émis l’hypothèse, de nous quitter pour partir en France, rejoindre Juliette et surtout la résistance. Quand il a appris que l’armée pensait, qu’il était mort pour son pays, il a immédiatement commencé à faire ses bagages, sans savoir que Juliette allait revenir aussi vite. Nous avons troqué une vache contre une petite camionnette, nous l’avons chargé avec des denrées et des accessoires utiles pour la rébellion. Les voitures des résistants ont les phares jaunes, pour se reconnaitre entre eux et aussi repérer directement l’ennemi qui a des phares blancs. Ils ont eu du mal, à se procurer ces phares jaunes, en Allemagne. Les préparatifs ont été un peu long, c’est pour ça qu’Erik et Juliette ont mis un peu de temps, pour te faire parvenir cette lettre. Tu as dû être très surprise de les voir arriver tous les deux.
Je ne sais pas si papi, a eu de l’intuition ou non, mais il a vécu le reste de sa vie dans la crainte d’une nouvelle guerre et ne voulait pas que sa famille souffre à nouveau. Il aurait sans doute préféré que ce sous-sol reste inutilisé, oublié. Les réserves de nourritures qu’il a entassées pendant toutes ces années ont fortement diminuées, mais nous les réalimentons au fur et à mesures. Nous détournons une partie de notre production pour faire des conserves, plus ce que nous avons récupéré chez les voisins et les cartons de l’armée récupérés par Klaus. Nous pouvons tenir plusieurs mois, mais après cela va dépendre aussi de combien de personnes nous allons encore accueillir.
Elsa est une gentille petite fille, je ne pense pas qu’elle aura des nouvelles de ses parents avant la fin de la guerre, surtout que personne ne sait qu’elle est cachée chez nous. J’espère que nous les retrouverons plus tard et si ce n’est pas le cas, nous la garderons avec nous.
Maintenant que les abords de la ferme sont plus sûrs, Hilda va pouvoir commencer un potager, vers la grange avec des graines que Klaus lui a dégotées. Elle est en train de faire des semis pour qu’ils soient prêts à être plantés mi-mai. Elle espère faire encore plus de conserves et avec différents légumes pour ne pas se lasser. Quand nous étions enfants, tu te rappelles nous jouions souvent près d’un puis dans le fond de la propriété, on se demandait pourquoi il était loin de tout. Aujourd’hui, nous comprenons son utilité et pourquoi papi l’a installé ici. Elsa lui a proposé de l’aider, c’est un travail difficile mais elle fera ce qu’elle pourra.
Hans est beaucoup mieux depuis que la petite nous a rejoints. Je parle beaucoup avec Hans et Elsa, mais il faut toujours que je trouve les mots justes, pour ne pas qu’ils s’inquiètent d’avantage et qu’ils aient peurs, ce sont des enfants et ils ont besoin de garder une certaine innocence. Même si, la vie n’est pas rose !
Bettina doit être tellement mignonne. Sait-elle marcher ? Commence-t-elle à parler ? Voit-elle d’autres enfants ? Elle est encore petite mais elle doit avoir envie de jouer. Je me rappelle que lorsque je promenais Hans petit, il voulait toujours que l’on s’arrête, pour jouer avec tous les enfants que l’on croisait. J’ai même pensé qu’il aurait besoin d’un petit frère ou d’une petite sœur. Mais, aujourd’hui je me dis heureusement, que je n’ai pas eu de deuxième enfant. A la fin de la guerre, on pourra tous se retrouver et nos enfants pourront rire et chanter ensemble. Elsa sera peut-être encore avec nous. J’ai tellement hâte de voir ta petite fille Bettina.
J’ai beaucoup de plaisir d’apprendre que tu as rencontré Louise et que tu passes du temps avec elle. Tes journées doivent te paraître moins longues. J’aimerais beaucoup que tu me la présentes quand ça sera possible.
Stephan a toujours été assez discret et ne doit pas savoir vraiment où est sa place, après tous ces évènements. Il faut qu’il prenne le temps de se soigner et pas que physiquement. Ce qu’il a vécu est un traumatisme, il faut que tu sois forte et que tu lui apportes ton appui pour l’aider à traverser cette épreuve.
Suzelle changera d’avis quand elle rencontrera le bon. Pour l’instant, c’est très bien qu’elle ait des rêves et médecin c’est un très beau métier. Elle pourra d’ailleurs, peut-être aider son beau-frère.
J’ai un peu honte de te dire que l’on ne manque plus de nourriture et c’est un soulagement. Mais comme je te l’ai déjà dit vous pouvez venir ici, la seule condition c’est que chacun doit aider aux tâches de la ferme. Ici, aussi il y a des topinambours mais pas que, il a des panais, des rutabagas entre autres…
Nous avons assez à manger et nous pouvons accueillir les trois enfants. Je serai heureuse de pouvoir venir en aide à ces jeunes. Je trouve cet instituteur remarquable, il est très courageux d’avoir mis sa vie en danger, en ville c’est beaucoup plus difficile de cacher des gens. Pour les récupérer, Juliette a donné les instructions Klaus, comme il travaille à Kehl et rentre tous les soirs, ça va peut-être plus simple que prévu. Hans et Elsa vont être contents de pouvoir jouer avec d’autres enfants. Il est prévu qu’ils arrivent à la ferme dans quelques jours, mais je ne sais pas quand exactement. Klaus étudie les habitudes de chacun pour ne pas risquer de se faire prendre. Ce n’est plus qu’une question de bon timing.
En remontant dans mes souvenirs, Rudolf Beomberg a toujours été bizarre. Ses parents étaient très sévères avec lui et n’avait jamais de temps à lui consacrer. Peut-être, qu’il s’est pris d’affection pour Ada car c’est une des seules personnes, qui a pris un peu soin de lui.
Juliette nous a appris que le gouvernement français, c’était réfugié en Angleterre et que depuis l’appel du Général de Gaulle à la BBC, les Etats-Unis étaient devenus votre allié. Je comprends tout à fait que les français et les autres peuples n’aient pas envie d’être envahis par les allemands mais combien de morts va-t-il encore y avoir ? Je suis peinée par cette situation et j’aurais tant aimé être née de l’autre côté de la frontière.
Recevez toute ma sympathie, prenez bien soin de vous, je vous aime très fort ma petite choucroute !
Je t’embrasse fort et Bettina tout particulièrement !
J’ai hâte de te lire et d’avoir des nouvelles de vous tous.
Ta Bretzel qui t’aime !
PS : Erik vous a apporté des vivres pour quelques semaines, j’espère qu’elles vous aideront. (J’ai veillé à ce qu’il n’y ait pas de topinambours)